« L’Afrique a longtemps été oubliée du patrimoine mondial. Il est temps d’y rééquilibrer l’histoire », déclare le Directrice générale de l’UNESCO, Audrey Azoulay.
Pour le directeur du Centre du patrimoine mondial de l’UNESCO, Lazare Eloundou Assomo, « ce classement est un acte de reconnaissance mais aussi un appel à protéger ces héritages menacés ». À l’occasion de sa 47ᵉ session élargie, le Comité du patrimoine mondial de l’UNESCO a inscrit, le 11 juillet, le paysage culturel de Diy-Gid-Biy, dans les Monts Mandara (Nord Cameroun), sur la prestigieuse liste du patrimoine mondial. Cette distinction offre au Cameroun une arme de diplomatie culturelle, dans une région sous pression sécuritaire. « Le Cameroun tient là un joyau archéologique et diplomatique », déclare Marc-Antoine Pérouse de Montclos, chercheur à l’IRIS.
Une mémoire ancrée, un message universel
Le site, vieux de 500 à 800 ans, couvre 2 500 hectares de vestiges agricoles et religieux. Il illustre l’adaptation de sociétés montagnardes à un environnement rude, par la construction de terrasses, de fortifications en pierre sèche et de lieux de culte ancestraux. « Diy-Gid-Biy incarne l’ingéniosité sociale de peuples souvent marginalisés dans les récits nationaux. Ce classement est une réhabilitation historique», souligne Pr. Baba Wamé, anthropologue camerounais.
Une réponse culturelle à l’instabilité
Inscrit dans une zone frontalière touchée par Boko Haram, le site devient un levier de stabilisation identitaire. « La culture est un facteur de résilience. Valoriser le patrimoine, c’est renforcer les ancrages face à l’extrémisme », indique Mahamat Saleh Annadif, ancien représentant de l’ONU pour l’Afrique de l’Ouest. « La jeunesse locale ne protégera que ce qu’elle connaît et valorise. C’est un pari sur la paix à long terme », note le Coordonnateur de la Fondation Cameroun Mémoire.
Un potentiel économique et diplomatique
- Tourisme culturel structurant : un possible futur circuit transfrontalier avec le Nigeria.
- Coopération internationale accrue : accès à des financements du Fonds du patrimoine mondial, mais aussi à des partenariats avec des pays donateurs (UE, Allemagne, Japon).
- Rayonnement du Cameroun dans les instances multilatérales.
« L’inscription de Diy-Gid-Biy montre que le Cameroun peut exister autrement que par les tensions politiques », déclare un diplomate français à l’UNESCO. « Ce site peut devenir un symbole de diplomatie culturelle régionale si Yaoundé s’en donne les moyens », rappelle un Analyste à l’ISS (Institute for Security Studies).
Un signal continental, des défis durables
Avec moins de 10 % des sites mondiaux classés situés en Afrique, mais près de 25 % en danger, l’inscription du Diy-Gid-Biy et du Mont Mulanje (Malawi) agit comme un rappel de l’urgence de préservation. « Les sites africains sont les plus vulnérables : conflits, extraction illégale, oubli institutionnel. Le défi commence après le classement », confie Aissata Tall Sall, ancienne ministre sénégalaise de la Culture.
Patrimoine mondial, enjeu national
Derrière ce classement symbolique, se joue une stratégie d’influence. Le Cameroun, au carrefour du politique, du sécuritaire et du culturel, peut transformer ce label en moteur de réconciliation territoriale, d’ouverture diplomatique et d’investissement durable. À condition de le protéger avec rigueur.
Noël Ndong