Alors que Washington impose de nouveaux droits de douane, la zone CEMAC s’organise pour amortir l’onde de choc, réorienter ses priorités commerciales et renforcer sa résilience structurelle.
La Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) réagit avec prudence mais vigilance à la récente hausse unilatérale des tarifs douaniers imposée par les États-Unis. Si le volume des exportations vers le marché américain reste marginal – 2,1% des exportations de la sous-région, loin derrière l’Union européenne (27,4%) et la Chine (24,5%), les autorités monétaires estiment que l’impact indirect pourrait se révéler plus large qu’il n’y paraît.
Réunie en visioconférence le 24 juillet 2025, la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) a convoqué experts, économistes et hauts décideurs à l’occasion de la première Journée économie et finance. Objectif : anticiper les effets systémiques de la nouvelle doctrine protectionniste américaine sur les six pays membres (Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée équatoriale, Tchad), et poser les bases d’une riposte régionale concertée. « Ce relèvement viole les règles de l’OMC. Mais nous ne sommes pas dans une logique de guerre commerciale avec les États-Unis. Nous devons convertir cette pression extérieure en levier de transformation », a tempéré Guy Innocent Beffo, expert en commerce international et intervenant à la conférence.
La décision américaine, initiée par l’administration Trump début avril, fixe désormais un droit plancher de 10 % pour le Congo, la Centrafrique et le Gabon, et 13 % pour le Cameroun, la Guinée équatoriale et le Tchad. Ces mesures s’inscrivent dans une stratégie plus large de réduction du déficit commercial américain et de relocalisation industrielle, mais leur portée mondiale remet en question l’équilibre des économies vulnérables.
Impact économique et enjeux stratégiques
À court terme, les secteurs pétrolier et forestier sont les plus exposés, en particulier au Cameroun, au Gabon et en Guinée équatoriale. La hausse des droits de douane risque de réduire les marges à l’exportation, de ralentir la croissance des réserves de change et de favoriser l’inflation importée, prévient un rapport interne de la BEAC.
Au-delà du choc conjoncturel, les experts y voient un signal stratégique : la nécessité urgente pour la zone CEMAC de réduire sa dépendance aux marchés extérieurs, de diversifier sa base productive, et de stimuler le commerce intra-communautaire, actuellement très faible (moins de 5% des échanges totaux). « Nous devons tirer des leçons de la trajectoire des pays du Golfe : diversifier en profondeur, industrialiser, et tirer parti de notre potentiel régional », a plaidé un conseiller économique de la BEAC.
Dans un contexte international marqué par la remontée du protectionnisme, la fragmentation des chaînes de valeur mondiales et les rivalités entre grandes puissances, cette décision américaine est aussi un révélateur des vulnérabilités structurelles des économies africaines, encore trop dépendantes de leurs partenaires traditionnels. La stabilité économique régionale, déjà mise à l’épreuve par des crises sécuritaires persistantes (notamment au Tchad et en Centrafrique), pourrait se fragiliser davantage si les États membres ne s’engagent pas dans des réformes d’intégration régionale, d’industrialisation, et de modernisation de la politique commerciale.
Une réponse collective en gestation
Face à cette situation, la BEAC appelle à une diplomatie économique plus affirmée, et à la mise en place d’un mécanisme régional de veille commerciale, capable de suivre les tendances tarifaires mondiales et de proposer des contre-mesures adaptées, y compris à travers de nouveaux accords Sud-Sud ou une meilleure valorisation des accords existants comme l’AfCFTA (ZLECAF). La CEMAC n’a pas les moyens d’une confrontation, mais elle dispose d’une carte à jouer : celle d’un réalignement stratégique vers des partenaires plus diversifiés, plus souples, et mieux connectés à ses priorités de développement.
Noël Ndong