Cartographier autrement : l’Afrique défie l’héritage Mercator

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En soutenant officiellement la campagne “Correct the Map”, l’Union africaine engage une offensive symbolique et géopolitique majeure. Objectif : redonner au continent sa juste représentation spatiale – et narrative – face aux distorsions héritées de l’époque coloniale.

C’est une revendication cartographique, mais aux implications politiques profondes. L’Union africaine (UA) a annoncé son soutien à la campagne “Correct the Map”, qui exige le remplacement de la projection Mercator – omniprésente dans les atlas, les systèmes de navigation et les salles de classe – par la projection Equal Earth, plus fidèle aux proportions réelles des continents.

Au cœur de ce plaidoyer : la réhabilitation visuelle, mentale et stratégique du continent africain, longtemps relégué à la marge – littéralement – sur les planisphères du monde. « Ce n’est pas une affaire de simple représentation, mais une question de souveraineté cognitive, de dignité et d’influence », affirme Selma Malika Haddadi, vice-présidente de la Commission de l’UA.

Une distorsion historique, aux effets contemporains

Créée en 1569, la projection de Gerardus Mercator a été pensée pour faciliter la navigation maritime. Mais cette carte allonge les terres proches des pôles et réduit celles de l’équateur, écrasant l’Afrique visuellement. Résultat : le Groenland paraît aussi grand que l’Afrique, alors qu’il est 14 fois plus petit. L’Europe et l’Amérique du Nord sont surdimensionnées. L’Afrique, visuellement diminuée, est aussi géopolitiquement marginalisée. Selon Fara Ndiaye, cofondatrice de Speak Up Africa, cette distorsion n’est pas neutre : « Elle alimente un imaginaire où l’Afrique est périphérique, inférieure. Cela commence dès l’enfance, à l’école ».

Equal Earth : vers une carte plus juste

Face à cela, des géographes américains ont mis au point en 2018 Equal Earth, une projection pseudo-cylindrique qui respecte la surface réelle des continents, sans sacrifier leur lisibilité. Déjà adoptée par la Banque mondiale, elle est soutenue par des acteurs africains comme Africa No Filter, qui militent pour son intégration dans l’éducation, les institutions et les interfaces numériques. La campagne vise aussi Google, qui continue d’utiliser Mercator par défaut sur mobile, malgré l’introduction du globe 3D sur desktop. « Il est temps que les outils numériques reflètent un monde équitable », souligne Moky Makura, directrice exécutive d’Africa No Filter.

Cartes mentales, cartes de pouvoir

La bataille cartographique est aussi une bataille de récit mondial. L’UA inscrit ce combat dans une dynamique plus large : restitution des biens culturels, débats sur les réparations coloniales, réforme des instances internationales (Conseil de sécurité de l’ONU, FMI, Banque mondiale). Changer la carte, c’est changer le centre de gravité symbolique. Car la carte façonne le regard, influence les politiques éducatives, médiatiques, diplomatiques. « Il ne s’agit pas de recentrer l’Afrique par orgueil, mais de corriger un déséquilibre structurel dans les outils de connaissance et de représentation », analyse un conseiller de la Commission UA.

Un enjeu stratégique dans un monde en recomposition

À l’horizon 2050, l’Afrique comptera près de 2,5 milliards d’habitants – soit un humain sur quatre. Riche en ressources critiques, au cœur des enjeux migratoires, énergétiques et climatiques, le continent attire les appétits : Chine, Russie, Turquie, puissances du Golfe et Occident y redoublent d’activisme. L’UA, en renforçant sa diplomatie du soft power, cherche à peser davantage dans l’agenda mondial. Ce changement de carte pourrait ainsi renforcer la posture stratégique de l’Afrique dans les négociations globales. Un petit pas symbolique, mais un levier d’influence majeur.

Une demande portée jusqu’à l’ONU

La campagne “Correct the Map” a officiellement saisi le Comité d’experts UN-GGIM (ONU) sur l’information géospatiale, qui examine actuellement la possibilité d’une recommandation mondiale sur les projections cartographiques. De plus en plus d’universitaires, ONG et diplomates hors d’Afrique appuient ce plaidoyer. Dans un monde où les cartes restent des instruments de pouvoir, décoloniser la représentation du globe devient un acte stratégique autant que pédagogique. « La carte est une arme silencieuse. L’Afrique demande simplement qu’on en change la mire », conclut un diplomate ouest-africain.

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