Dans une séquence judiciaire inédite à l’échelle du continent, la République démocratique du Congo (RDC) a franchi un seuil historique.
La RDC a requis la peine de mort à l’encontre de l’ancien président Joseph Kabila, 53 ans, jugé par contumace pour « crimes de guerre », « trahison » et « organisation d’un mouvement insurrectionnel ». Un événement aux répercussions potentiellement majeures sur la stabilité politique, la sécurité régionale et les équilibres diplomatiques en Afrique centrale.
Une accusation d’État : M23, AFC et coup d’État présumé
Devant la Haute Cour militaire de Kinshasa, le général Lucien René Likulia, représentant du ministère public, a dressé un acte d’accusation d’une rare sévérité : « Joseph Kabila, en intelligence avec le Rwanda, a cherché à renverser par les armes le régime constitutionnel », a-t-il déclaré, affirmant que l’ex-président est l’un des initiateurs de l’Alliance Fleuve Congo (AFC), branche politique du groupe armé M23. Ce mouvement, soutenu par Kigali selon de multiples rapports de l’ONU et de la CIRGL, contrôle aujourd’hui Goma, Bukavu et d’importantes portions du Nord-Kivu et Sud-Kivu – zones stratégiques aux sous-sols riches en coltan, or et terres rares. Pour Kinshasa, la complicité de Kabila aurait permis « l’infiltration militaire et institutionnelle » de la RDC.
La résurgence de la peine de mort, levier juridique et politique
Le moratoire sur l’exécution capitale, en vigueur depuis 2003, a été levé en 2024 dans un contexte d’exacerbation sécuritaire. S’il n’a pas encore été appliqué, la menace juridique agit comme un instrument de dissuasion politique, notamment à l’encontre d’élites soupçonnées de collusion avec des groupes rebelles. Le parquet requiert également 20 ans de prison pour « apologie de crimes de guerre », 15 ans pour « complot », en plus de lourdes compensations financières exigées par les provinces parties civiles.
Réactions en chaîne : risques de polarisation et de fragmentation
Le Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD), formation politique de Joseph Kabila, dénonce une manœuvre : « C’est un procès politique, le régime cherche à dissimuler son échec diplomatique et militaire », a réagi Ferdinand Kambere, son secrétaire général adjoint. Pour l’opposition, cette procédure viserait à neutraliser un acteur politique toujours influent, alors que les élections de 2026 s’approchent. En toile de fond, ce procès intervient dans un contexte de tensions croissantes entre Kinshasa et Kigali, mais aussi de rivalités entre les blocs régionaux : la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC), où le Rwanda joue un rôle-clé, et la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), dont la RDC est membre.
Décryptage géopolitique : entre guerre hybride et compétition économique
Au-delà du volet judiciaire, ce procès traduit une mutation des modes de confrontation en RDC : guerre hybride mêlant armes, narratif politique, cyber-influence et exploitation des ressources. Selon plusieurs analystes, l’ombre portée du M23 s’inscrit dans une logique de captation des ressources stratégiques : 70 % du coltan mondial est exploité en RDC, dont une grande partie transite via le Rwanda. Pour l’expert en intelligence économique Jean-Louis Atangana, « cette affaire révèle l’usage d’acteurs politiques comme leviers d’instabilité géoéconomique dans la région des Grands Lacs ».
Un tournant pour l’Afrique des Grands Lacs ?
L’issue de ce procès pourrait redéfinir les équilibres internes à la RDC comme les rapports de force régionaux. Si la peine capitale était confirmée, elle constituerait une première dans l’histoire moderne africaine contre un ancien chef d’État, avec des répercussions imprévisibles en matière de stabilité démocratique, sécurité frontalière et investissements internationaux.
En jeu : l’intégrité territoriale de la RDC, la survie du régime Tshisekedi, et l’avenir de la gouvernance sécuritaire en Afrique centrale. « La justice ne doit pas devenir l’arme de la revanche politique. Mais ignorer les crimes compromettrait à jamais la paix », tranche une source diplomatique occidentale à Kinshasa.