
L’adoption récente par le parlement tchadien d’une nouvelle Constitution, supprimant la limitation du nombre de mandats présidentiels, suscite à la fois espoirs et interrogations.
Prévue pour consolider les institutions nationales dans un contexte de transition post-crise, cette réforme relance un débat complexe et sensible : celui de la durée du pouvoir exécutif en Afrique.Adoptée à une écrasante majorité (171 voix pour, 1 contre), cette réforme allonge également la durée du mandat présidentiel de cinq à sept ans.
Elle devra être validée par le Sénat, puis par le Congrès, avant d’entrer en vigueur. Pour le gouvernement tchadien, il s’agit d’un choix stratégique visant à garantir la continuité politique, la stabilité institutionnelle et l’efficacité du développement économique et sécuritaire.
Une lecture culturelle et historique du pouvoir
Dans certaines grilles de lecture africaines, notamment dans les systèmes traditionnels, la longévité au pouvoir est perçue non pas comme un excès, mais comme un signe de sagesse, d’expérience et de stabilité. À l’image des chefs traditionnels ou des rois coutumiers, souvent désignés à vie, un dirigeant qui reste longtemps peut être vu comme garant d’une paix durable et d’une gestion continue, dans des sociétés où l’instabilité a souvent été coûteuse.
« Le respect de l’autorité, la valorisation de la continuité et la crainte du vide institutionnel sont profondément ancrés dans certaines cultures africaines », explique Dr. Ibrahim Nassour, politologue tchadien. « Mais ces éléments doivent aujourd’hui coexister avec les exigences modernes de responsabilité, d’alternance et de reddition des comptes ».
Afrique centrale : une dynamique régionale controversée
Le cas tchadien n’est pas isolé. En Afrique centrale, plusieurs pays ont modifié leur Constitution au cours des deux dernières décennies pour supprimer la limitation du nombre de mandats : Cameroun (2008), Congo-Brazzaville (2015), Guinée équatoriale (2011), et plus récemment la RCA. Ces réformes ont souvent été justifiées par des besoins de stabilité, dans des environnements fragiles ou en proie à des menaces sécuritaires.
Toutefois, les critiques pointent les risques d’une personnalisation du pouvoir, de verrouillage politique et de faible renouvellement des élites. Elles soulignent aussi que l’absence d’alternance peut générer, à terme, des tensions sociales et une perte de confiance dans les institutions.
Vers une gouvernance hybride et contextualisée ?
La réforme tchadienne ouvre donc une réflexion plus large sur les modèles de gouvernance adaptés au continent africain. Faut-il systématiquement transposer les standards occidentaux d’alternance ? Ou plutôt imaginer des formules hybrides qui combinent légitimité culturelle, efficacité de l’État et garanties démocratiques ?
Pour de nombreux acteurs panafricains, la solution ne réside pas uniquement dans le nombre de mandats, mais dans la qualité de la gouvernance, la transparence électorale, la justice indépendante et la participation citoyenne effective. Autrement dit, un mandat illimité n’est pas nécessairement antidémocratique s’il s’inscrit dans un cadre institutionnel robuste, équitable et contrôlé.
Au Tchad, comme ailleurs en Afrique, les réformes constitutionnelles posent des questions fondamentales sur la trajectoire démocratique du continent. Entre les exigences de stabilité, les réalités culturelles et les aspirations citoyennes, le débat sur les mandats présidentiels reste ouvert, pluriel et profondément africain.