À la veille de la proclamation des résultats de la présidentielle, quels sont les scénarios de risque pour Yaoundé ?
Avec l’annonce imminente des résultats de l’élection présidentielle du 12 octobre 2025, le Paul Biya espère un nouveau mandat. Mais face à une opposition en rebond, un climat de méfiance institutionnelle et une triple crise sécuritaire, le Cameroun se trouve à un carrefour géopolitique, économique et stratégique – avec des retombées qui dépassent ses frontières.
Le Cameroun s’apprête à franchir une étape politique majeure. Après le scrutin du 12 octobre 2025, les résultats officiels doivent être proclamés d’ici le 26 octobre par la Cour constitutionnelle. L’opposition, conduite notamment par Issa Tchiroma Bakary, revendique déjà la victoire, tandis que le pouvoir balaie ces affirmations. Or, ce qui se joue n’est pas seulement la reconduction d’un président, Paul Biya, c’est aussi la stabilité d’un État confronté à des défis internes profonds, avec un impact direct sur sa stratégie régionale, ses partenaires économiques et sa sécurité nationale.
- L’élection et les enjeux stratégiques
Le Cameroun vit sous la direction de Paul Biya depuis plus de quatre décennies, et cette élection ne ressemble pas aux précédentes. L’interdiction de la candidature de l’opposant de premier plan Maurice Kamto a été perçue comme un signe d’asymétrie démocratique renforcée. Le système électoral est critiqué pour son manque de transparence, ce qui affaiblit la légitimité perçue du scrutin.
Sur le plan sécuritaire, les menaces sont multiples :
- La crise anglophone (régions Nord‑Ouest et Sud‑Ouest) continue de provoquer des déplacements massifs et de réduire la capacité de l’État à exercer pleinement son autorité.
- L’insurrection de Boko Haram dans l’Extrême‑Nord submerge localement les populations et affaiblit le contrôle territorial.
- L’absence de plan clair de succession de Biya alimente les spéculations et les tensions internes au sein de l’élite au pouvoir.
- Économiquement, le pays reste dépendant des matières premières (cacao, pétrole) et d’un endettement élevé : la fragilité macroéconomique rend le Cameroun vulnérable aux chocs– internes ou externes.
2. Scénarios de risque pour le Cameroun à l’annonce des résultats
a) Reconduction de Biya avec contestation contrôlée
Dans ce scénario « modéré », Biya est proclamé vainqueur. L’opposition proteste, des heurts isolés surviennent, mais l’ordre est globalement maintenu grâce à l’appareil sécuritaire. Cependant, la légitimité est affaiblie, le sentiment d’exclusion croît, et la marge de manœuvre du gouvernement pour mener des réformes se réduit.
b) Victoire revendiquée de l’opposition + rejet par le pouvoir
L’opposition clame « victoire » (comme l’a déjà fait Tchiroma) alors que les résultats officiels vont dans un autre sens. Cela ouvre la voie à des mobilisations dans les grandes villes (Yaoundé, Douala) et dans les régions du Nord‑Ouest / Sud‑Ouest. Le gouvernement pourrait alors répondre par des mesures coercitives (internet coupé, forces de l’ordre massées). Le risque est double : perte de contrôle et radicalisation de certains groupes.
c) Incident sécuritaire majeur ou implosion dans une zone de conflit
La proclamation des résultats pourrait être l’étincelle dans des zones pré‑conflictuelles : régions anglophones, Extrême‑Nord. Une attaque djihadiste, une explosion des séparatistes ou un incident violent pourrait déclencher un dérèglement plus large. Ce scénario comporte un risque de contagion vers les États voisins, notamment le Nigeria, et une crise régionale.
3. Implications géopolitiques et sécuritaires pour le pays et la région
- Frontière Nigeria / Cameroun : Le Cameroun partage une longue frontière avec le Nigeria. Tout affaiblissement de l’État camerounais réduit la capacité à freiner les groupes transfrontaliers, les trafics d’armes ou les mouvements irréguliers.
- Partenaire stratégique régional : Le Cameroun joue un rôle clé dans la force multinationale dans le bassin du Lac Tchad et la sécurisation du golfe de Guinée. Une crise politique affaiblirait sa crédibilité vis‑à‑vis des partenaires internationaux.
- Attractivité investissement / partenariats internationaux : Le pays est déjà classé comme à risque élevé sur le plan du crédit et de l’investissement (classification « B‑/B », dette 64 %‑GDP) ; un scrutin contesté ou un résultat instable déclencherait un afflux de « risk premium ».
- Influence extra‑régionale : Le Cameroun se situe à la croisée des intérêts occidentaux, russes et chinois (dette, infrastructures, ressources). Une instabilité interne diminue ses marges de négociation et fait pencher les rapports de force en faveur des acteurs qui préfèrent des partenaires faibles ou dociles.
4. Ce que devrait surveiller l’État camerounais et ses partenaires
- Intégrité de l’annonce des résultats : transparence, observateurs, communication claire. Le moindre doute alimentera les critiques.
- Maintien de l’ordre public sans excès : éviter l’usage disproportionné de la force, en particulier dans les zones sensibles.
- Dialogue politique post‑électoral : ouverture à l’opposition, prise en compte des revendications (Anglophones, jeunesse) pour éviter l’enlisement.
- Continuité économique et gestion de crise : préparer un plan B pour faire face aux retards d’investissements, à la baisse de confiance, ou à une éventuelle crise de légitimité.
- Coopération transfrontalière sécuritaire : renforcer la collaboration avec le Nigeria et les partenaires régionaux pour limiter tout effet négatif de propagation de l’instabilité.
La proclamation imminente des résultats de l’élection présidentielle au Cameroun constitue un moment charnière : il ne s’agit pas seulement de savoir qui présidera le pays, mais de mesurer la capacité de l’État à renouveler sa légitimité, à gérer ses défis internes et à maintenir son rôle régional. Le « réelment » gagnant sera davantage celui qui préservera la stabilité et la confiance que celui qui remportera le score électoral. Pour ses voisins et partenaires, en particulier du Nigeria, et pour les acteurs économiques, la question est simple : ce scrutin sera‑t‑il un facteur de renforcement ou, au contraire, de fragilisation ?