Le Cameroun au carrefour géostratégique.
La région de l’Afrique centrale – longtemps considérée comme une zone tampon entre des dynamiques sahéliennes, congolaise et golfo-équatoriale – entre aujourd’hui dans une nouvelle phase de recomposition géopolitique et géoéconomique. Le Cameroun, en tant qu’État pivot de cette zone, en sort particulièrement transformé, tant par son contexte politique que par ses défis sécuritaires, économiques et d’intelligence stratégique.
Le Cameroun post-élection : continuité sous tension
Le 12 octobre 2025, le président Paul Biya, a été déclaré vainqueur avec environ 53,66 % des voix. L’opposition conteste les résultats, évoquant des fraudes massives et une forte répression des manifestations. Cette réélection, soulève trois grands défis :
- la crise de succession et de légitimité : le maintien trop longtemps de Paul Biya au pouvoir, dans un État aux institutions affaiblies, nourrit un clivage générationnel profond.
- la sécurité intérieure : les conflits dans les régions anglophones (Nord-Ouest / Sud-Ouest), l’insurrection de Boko Haram dans le Far North, et les flux de réfugiés depuis la Centrafrique posent un risque d’embrasement plus large. On peut ajouter des revendications post-électorales à tout-va.
- le risque géoéconomique : la stabilité politique conditionne les investissements internationaux, la gestion des ressources naturelles et l’exploitation du potentiel agricole du pays.
Enjeux stratégiques à l’horizon
1. Ressources, infrastructure et corridor géoéconomique
Le Cameroun joue un rôle central dans la chaîne d’approvisionnement des grands projets d’investissement dans la région – agriculture, énergie, miniers. Le pays pourrait devenir un « corridor » pour les investissements en Afrique centrale, mais cela dépend de sa capacité à stabiliser le climat des affaires ainsi que la sécurité.
Les partenaires internationaux (Golfe, Chine, UE) observent cette zone comme un terrain d’influence et d’opportunités : celui qui avait un accès sécurisé aux infrastructures (ports, routes, mines) emporte un avantage durable.
2. Intelligence économique et souveraineté stratégique
La compétition globale s’accroît pour contrôler les données, les flux logistiques et les technologies. Au Cameroun, comme dans toute l’Afrique centrale, le défi pour l’État est de ne plus être simple terrain d’accueil mais acteur stratégique : développer des capacités de veille, de cybersécurité, de transformation locale des ressources et de négociation de partenariats équilibrés. Le renouvellement politique, ou son absence, peut fortement influencer la capacité du pays à articuler une doctrine de souveraineté économique face aux grandes puissances.
3. Sécurité intégrée et résilience régionale
La stabilité du Cameroun est une condition clé de la stabilité de l’Afrique centrale. Une escalade du conflit anglophone ou une extension du terrorisme dans la zone littorale ou forestière impacterait les projets d’investissement, creuserait les flux d’apatridie et fragiliserait les États voisins. La réponse exige une stratégie intégrée mêlant développement, infrastructures résilientes, gouvernance locale et coopération transfrontalière.
Perspectives pour les 3 à 5 ans
- Si le gouvernement met en œuvre un agenda de « délivrance de résultats » (réduction chômage jeunes, infrastructures rurales, mines responsables, gouvernance) et calme la contestation politique, le Cameroun pourrait devenir un pôle d’attraction pour les investissements d’Afrique centrale.
- À défaut, un scénario de « stagnation + tensions » est probable : blocage politique, fuite des capitaux, usage renforcé de la répression, ce qui affaiblirait encore la place du pays dans les grandes chaînes d’investissement.
- Enfin, un scénario plus périlleux : la crise politique et sécuritaire s’amplifie, provoquant un glissement vers une « zone d’instabilité » régionale – impact négatif sur l’ensemble de l’Afrique centrale et remontées de risques « sécuritaires-économiques » pour les investisseurs.
Le Cameroun post-électoral incarne les paradoxes de l’Afrique centrale : des potentialités immenses, mais des fragilités persistantes. L’enjeu géostratégique est clair : qui verrouillera la place de cette région dans l’économie mondiale de demain ? Le Cameroun peut choisir d’être spectateur ou acteur. Ses choix de gouvernance, de sécurité et d’intelligence économique dans les deux prochaines années seront déterminants pour sa trajectoire – et pour celle de toute la région.