Entre guerres visibles, batailles invisibles et prédations systémiques – L’Afrique centrale et le Cameroun au cœur d’un basculement géopolitique.
L’Afrique traverse l’une des périodes les plus explosives de son histoire contemporaine. Selon le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), le continent concentre plus de 50 conflits armés actifs, soit 40 % des violences mondiales, un bond de 45 % depuis 2020. Ce n’est plus une crise. C’est une bascule structurelle.
Une recomposition brutale d’un continent devenu le théâtre d’un hyper-conflit multiforme : guerres civiles, milices transnationales, mercenaires, coups d’État militaires, cyberattaques, rivalités de puissances, et une nouvelle réalité longtemps passée sous silence – l’espionnage économique massif autour des ressources stratégiques de l’Afrique.
Cartographie du chaos : un continent sous feu roulant, du Soudan en RDC

D’un point de vue académique, l’Afrique réunit aujourd’hui toutes les caractéristiques d’un espace géostratégique hyper-sensible : 70 % des réserves mondiales de cobalt ; 40 % du manganèse ; 30 % du bauxite ; les plus grands gisements de coltan, lithium, graphite, uranium ; des corridors logistiques indispensables aux chaînes d’approvisionnement globales. Autrement dit : la clé matérielle de la transition énergétique mondiale.
C’est cette réalité qui attise la compétition. Le Soudan illustre la gravité de la crise : 12 millions de déplacés et un système de santé « largement détruit ». En RDC, la montée en puissance du M23 a entraîné la chute de Goma et Bukavu en 2025, accélérant une guerre économique autour du coltan, du cobalt et du lithium, moteurs des technologies numériques et des batteries électriques.
« Nous assistons à une militarisation de l’économie africaine et une économisation de la guerre », analyse un expert de l’ONU. Cette « guerre des minerais » dépasse le cadre régional : Chine, États-Unis, Russie, Turquie et Émirats arabes unis s’affrontent dans une bataille d’influence où les entreprises minières, les armées et les milices jouent des rôles imbriqués.
L’Afrique peut-elle éviter l’implosion ?
Oui – à condition de renforcer l’intégration régionale, sécuriser les chaînes logistiques, investir massivement dans l’intelligence économique, restaurer la souveraineté des États, contrôler les acteurs privés armés, moderniser les armées nationales, exploiter les ressources de façon transparente.
La responsabilité des puissances étrangères est évidente, mais la responsabilité africaine l’est tout autant : gouvernance, transparence, anticipation stratégique.
La sous-région la plus fragile : l’Afrique centrale, laboratoire du chaos

Les raisons profondes de la crise sont multiples : faiblesse des États, frontières sans contrôle, économie de rente, corruption systémique, explosion démographique, compétition internationale pour les minerais clés de la transition énergétique. À cela s’ajoute la baisse drastique des financements internationaux, conséquence notamment de la réduction de l’aide américaine. Le CICR déplore devoir « renoncer à des opérations vitales » faute de moyens.
L’Afrique centrale est devenue le point nodal où se croisent : trafics transnationaux, prédation militaro-économique, compétition entre puissances extérieures (France, Russie, Chine, Turquie, États-Unis, Émirats), transitions politiques incertaines (Gabon, Tchad), frontières ingouvernables (RCA, RDC, Cameroun), insurrections armées (Nord Cameroun, Ouest Cameroun, Est RDC).
Le CICR a rappelé que 35 millions d’Africains ont été déplacés, soit la moitié du total mondial. La sous-région pèse lourd dans ce chiffre.
Le Cameroun : un pivot stratégique sous veille internationale

Longtemps présenté comme un « îlot de stabilité », le Cameroun est désormais le pays-pivot, la zone-charnière où se déploient les rivalités globales. Trois dynamiques s’y superposent :
1. Espionnage économique et guerre invisible pour les infrastructures
Douala et Kribi ne sont pas de simples ports : ce sont des actifs géo-économiques majeurs. Depuis 2022, plusieurs agences de renseignement étrangères s’intéressent : aux concessions portuaires, aux zones industrielles, au futur hub gazier de Kribi, aux corridors ferroviaires vers le Tchad et la RCA.
Plusieurs sources africaines évoquent des intrusions numériques, des opérations d’influence et des tentatives de captation stratégique autour des infrastructures clés. Selon un consultant en intelligence économique à Paris : « Le Cameroun est devenu la pièce maîtresse du jeu énergétique et logistique en Afrique centrale. Celui qui contrôle Kribi influence toute la sous-région ».
2. Mercenariat et privatisation de la violence
Le décret français de 2025 facilitant l’usage de sociétés militaires privées dans la coopération internationale rebat les cartes. Le Cameroun, partenaire historique de Paris, devient un terrain où se rencontrent : opérateurs de sécurité russes, sociétés militaires privées françaises et européennes, instructeurs américains, entreprises de protection moyen-orientales. Dans l’Extrême-Nord et l’Est, la sécurité de certaines zones minières et logistiques est déjà partiellement outsourcée, un phénomène longtemps dissimulé.
3. Rivalités militaires internationales : le pays au centre d’un bras de fer global
Le Cameroun est courtisé pour : ses ports, ses bases aériennes, ses routes d’accès à l’Afrique de l’Ouest, ses ressources (pétrole, gaz, bauxite, cobalt émergent), ses positions stratégiques face au Nigéria et au Golfe de Guinée. Un diplomate européen confie : « Le Cameroun est devenu trop stratégique pour être laissé à lui-même. Toutes les puissances veulent y avoir un pied ».
Pourquoi autant de conflits en Afrique ? Les raisons profondes
Au moins six raisons majeures :explosion démographique (+1 milliard d’Africains d’ici 2050) ; États affaiblis et élites politiques parfois captives de réseaux de prédation ; rareté relative des terres agricoles face aux besoins ; Appétit vorace des puissances extérieures pour les minerais critiques ; Nouvelles routes maritimes stratégiques (Golfe de Guinée) ; Effondrement de l’aide internationale ( USAID démantelée, baisse des financements européens). Le CICR parle d’« arbitrages douloureux conduisant à abandonner certaines opérations vitales ».
Des solutions existent – mais exigent un courage politique inédit
1. Intégration régionale et défense collective : La CEEAC et la CEMAC doivent passer d’organisations administratives à de véritables alliances de sécurité.
2. Contrôle strict du mercenariat : Créer une loi cadre africaine sur les sociétés militaires privées.
3. Intelligence économique souveraine : Former 10 000 analystes africains spécialisés dans la cyberguerre, la protection des infrastructures, la sécurité énergétique.
4. Transparence sur les contrats miniers : Rendre publics : royalties, concessions, indexations, bénéficiaires effectifs.
5. Renforcement du Cameroun comme hub stratégique : Moderniser les ports, l’armée, la cybersécurité et la diplomatie économique.
Pour conclure : l’Afrique face au mur de l’Histoire
Le continent n’est pas condamné au chaos. Mais il n’a plus le luxe de l’aveuglement. Le Cameroun, pivot géostratégique, doit choisir entre subir la compétition mondiale ou la maîtriser. L’Afrique centrale, demain, sera soit un corridor de stabilité, soit le nouveau Moyen-Orient du chaos globalisé. L’heure des choix a sonné. Au nouveau président du Cameroun à penser et à dessiner la nouvelle Afrique centrale, avec ses homologues.