Entre impératifs judiciaires, équilibres politiques et coût économique croissant, le prolongement de la détention du magnat des médias met à l’épreuve les engagements du Cameroun en matière d’État de droit, de présomption d’innocence et de gouvernance.
Un procès qui s’enlise et interroge les partenaires du Cameroun
Le bras de fer procédural autour de la détention de Jean-Pierre Amougou Belinga, poursuivi pour complicité d’enlèvement, torture et assassinat du journaliste Martinez Zogo, commence à susciter une préoccupation palpable dans plusieurs chancelleries occidentales et africaines, selon plusieurs sources diplomatiques interrogées de manière informelle.
Un diplomate d’Afrique centrale en poste à Yaoundé résume ainsi le malaise : « Le Cameroun a le droit de juger, mais pas d’entretenir l’ombre d’un procès politique. La durée et l’opacité des procédures fragilisent la crédibilité de l’engagement de Yaoundé pour l’État de droit ».
Pour les ONG internationales, le message est tout aussi clair. Amnesty International rappelle que la détention préventive « ne peut être une peine anticipée » et doit répondre à des critères stricts de proportionnalité. Human Rights Watch souligne quant à elle que « l’absence d’avancées substantielles dans un dossier aussi emblématique envoie un signal inquiétant à la presse et à la société civile camerounaise ».
La question de la présomption d’innocence : un angle scruté par les bailleurs
Le Cameroun est engagé depuis 2019 dans des discussions sensibles avec ses partenaires financiers – Banque mondiale, FMI, Banque africaine de développement – qui intègrent désormais des critères de gouvernance et de respect des procédures judiciaires dans leurs évaluations de risque.
Pour un analyste du think-tank International Crisis Group : « Le maintien prolongé en détention d’une personnalité aussi exposée sans avancée claire du procès expose le Cameroun à des critiques sérieuses sur la présomption d’innocence. Une liberté provisoire strictement encadrée aurait été un signal d’apaisement ».
Les bailleurs ne défendent pas Amougou Belinga ; ils défendent un principe : la cohérence du système judiciaire et la prévisibilité des procédures. Un système trop opaque augmente le risque-pays, ce qui renchérit le coût des emprunts internationaux pour l’État.
Pourquoi une liberté provisoire poserait moins de risques qu’on ne le pense
L’argument central du gouvernement et du Tribunal militaire reste le risque de fuite, de pression sur témoins et la gravité extrême des faits. Pourtant, plusieurs experts africains en droit pénal public estiment qu’un contrôle judiciaire renforcé, avec interdictions de déplacements, saisie des documents administratifs, pointage régulier et bracelet électronique, serait conforme aux standards internationaux.
La communauté internationale ne plaide pas pour un abandon des poursuites, mais pour une cohérence procédurale, une égalité de traitement entre accusés, une gestion plus lisible de la détention préventive, la garantie que le procès progresse réellement.
Un coût économique et budgétaire non négligeable pour l’État
Peu évoqué publiquement, un volet économique mérite attention. Un économiste basé à Douala insiste : « Que l’accusé soit coupable ou non ne change rien à ceci : la perte systémique pour l’économie locale est réelle et durable ».
1. Coût direct de la détention : Entre logistique sécuritaire, transferts, procédures, mobilisations judiciaires, expertises et infrastructure pénitentiaire, la détention d’une personnalité de ce rang coûte en moyenne trois à cinq fois plus qu’un détenu ordinaire dans les États d’Afrique centrale. Une estimation crédible situe ce coût à environ 45 à 60 millions FCFA par an, incluant les dépenses connexes du procès.
2. Coût indirect pour l’économie camerounaise : L’effondrement partiel du groupe Vision Finance et les difficultés opérationnelles du groupe L’Anecdote auraient entraîné une contraction d’emploi estimée (350 à 500 postes fragilisés), des pertes de dépôts et d’investissements privés, un affaiblissement de la confiance dans les microfinances locales, déjà fragilisées.
Un impact géopolitique régional : le procès scruté depuis l’Afrique centrale
L’affaire est devenue un marqueur géopolitique dans la sous-région. Au Gabon, au Tchad et en RCA, plusieurs médias y voient un test de la capacité du Cameroun – puissance régionale – à conduire un procès sensible sans l’instrumentaliser politiquement. Plusieurs chancelleries redoutent que le dossier ravive les tensions internes au sein de l’élite politico-sécuritaire, déjà traversée par des rivalités anciennes.
Un diplomate européen confie : « Si le procès se politise davantage, il pourrait créer une instabilité imprévisible dans les réseaux sécuritaires camerounais. Aucun État partenaire n’a intérêt à cela ».
Sécuritaire : une affaire qui éclabousse les services de renseignement
La mise en cause d’agents de la DGRE et d’anciens hauts responsables de l’appareil de sécurité inquiète les partenaires occidentaux engagés dans la coopération antiterroriste avec Yaoundé, notamment dans le bassin du Lac Tchad. Un expert français en sécurité intérieure le dit sans détour : « On ne peut pas conduire des opérations conjointes efficaces quand des pans entiers du renseignement sont mobilisés dans une affaire interne aussi explosive ».
Diplomatie : une patate chaude pour l’image internationale du Cameroun
Le procès intervient alors que le Cameroun tente de consolider son statut de partenaire stratégique en Afrique centrale. La longueur des procédures et les tensions internes créent un brouillard qui affaiblit la position diplomatique du pays dans les forums internationaux. La question qui circule désormais dans les milieux diplomatiques est frontale : « Le Cameroun peut-il garantir un procès juste et dans des délais raisonnables ? »
Un procès devenu affaire d’État
Le prolongement de la détention d’Amougou Belinga est devenu un test global pour le Cameroun : test de gouvernance, test de cohérence judiciaire, test économique, test diplomatique, test sécuritaire. La décision attendue le 18 décembre ne concerne donc pas uniquement un accusé : elle engage l’image d’un État et sa capacité à arbitrer un dossier explosif sans fragiliser davantage son cadre institutionnel.