L’intégration des peuples autochtones dans l’ère numérique est devenue une question de souveraineté, de justice et de sécurité.
L’Union africaine appelle à un encadrement stratégique et inclusif de l’intelligence artificielle pour éviter une nouvelle marginalisation. « L’IA ne doit pas perpétuer les injustices historiques », alerte la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), organe consultatif de l’Union africaine (UA), à l’occasion de la Journée internationale des peuples autochtones. Au cœur des débats : l’intégration éthique des peuples autochtones africains dans l’essor des technologies émergentes, notamment l’intelligence artificielle (IA), alors que la compétition numérique mondiale s’accélère.
Une question stratégique et géopolitique
En Afrique, les peuples autochtones – souvent gardiens des écosystèmes vitaux du continent – se trouvent aujourd’hui à la croisée des chemins : entre reconnaissance de leurs droits et menaces d’une nouvelle forme d’exclusion, cette fois numérique. Leur marginalisation, souvent héritée des dynamiques coloniales et postcoloniales, risque d’être reconduite si les États et les acteurs technologiques n’intègrent pas leurs besoins et savoirs dans les stratégies nationales et régionales.
« L’IA doit être construite avec et pour les peuples autochtones », insiste Aimé Ange Wilfrid Bininga, ministre congolais de la Justice et des Droits humains. Un message politique fort dans un contexte où les technologies, si elles ne sont pas encadrées, peuvent alimenter des logiques d’extraction de données, de désinformation, voire de perte de souveraineté culturelle et territoriale.
Données, savoirs, territoires : la souveraineté en question
L’UA appelle les États africains à intégrer dans leurs stratégies numériques le « consentement libre, préalable et éclairé » des communautés concernées. Une disposition qui s’inscrit dans la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, mais qui peine encore à se traduire en politiques publiques concrètes. Car au-delà des droits humains, c’est aussi une bataille stratégique pour la souveraineté des données. Nombre de savoirs autochtones – liés à l’environnement, à la santé, aux langues – sont aujourd’hui numérisés sans cadre légal clair, souvent exploités par des entreprises étrangères ou des projets technologiques non supervisés.
« Il est impératif de mettre fin aux pratiques abusives et d’engager un véritable partenariat avec les communautés autochtones », souligne la CADHP. Cela implique une refonte des cadres juridiques, un dialogue inclusif, mais aussi une coopération entre gouvernements, secteur privé, société civile et universités.
Risque sécuritaire : exclusion numérique et fracture culturelle
Si les peuples autochtones sont exclus du développement de l’IA, les conséquences ne seront pas uniquement sociales ou culturelles, mais également sécuritaires. Marginalisation accrue, érosion identitaire, conflits fonciers aggravés par des projets technologiques imposés : les signaux d’alerte se multiplient. Audrey Azoulay, directrice générale de l’UNESCO, avertit : « En l’absence de dispositions pour garantir un développement éthique de l’IA, nous risquons de renforcer des préjugés néfastes et de dénaturer les langues autochtones ».
Dans certains pays comme le Tchad ou la Tanzanie, des initiatives pilotes montrent qu’une collaboration respectueuse est possible. L’IA y est utilisée pour traduire les savoirs ancestraux en données environnementales ou climatiques, intégrées dans des programmes de gestion durable des ressources. Un modèle prometteur, mais encore trop marginal.
Vers une diplomatie numérique panafricaine ?
À l’heure où l’Afrique cherche à renforcer sa voix dans la gouvernance mondiale de l’IA – notamment à travers le Fonds africain pour l’IA éthique lancé en 2024 – la protection des droits des peuples autochtones devient une pierre angulaire de la diplomatie numérique africaine.
Il s’agit désormais pour l’Union africaine d’articuler les objectifs du développement technologique avec les principes de justice historique, de diversité culturelle et de souveraineté économique.
L’intelligence artificielle ne peut être un progrès pour l’Afrique que si elle respecte ses peuples les plus enracinés. L’enjeu n’est pas technologique mais civilisationnel : bâtir un avenir numérique inclusif ou répéter les erreurs du passé.