Dans un contexte régional fragile, la pauvreté de masse devient une vulnérabilité économique et stratégique. Vers une approche d’intelligence économique sociale ?
Le Cameroun fait face à une crise silencieuse. Près de 12,6 millions de Camerounais vivent avec moins de 2 000 FCFA (3 euros) par jour, selon les dernières données de l’Institut national de la statistique (INS). Derrière ce chiffre : inégalités structurelles, déséquilibres régionaux, et informalité galopante. Cette pauvreté, qui touche plus de 45 % de la population, n’est plus seulement un enjeu social – elle devient un risque stratégique pour la stabilité nationale.
« L’intelligence économique ne concerne pas que les marchés. Elle implique aussi l’anticipation des vulnérabilités internes qui fragilisent la nation », affirme Luc Tchouameni, consultant en IE basé à Douala.
Une pauvreté multidimensionnelle et territoriale
Les régions du Nord, de l’Est et du Nord-Ouest concentrent les taux de pauvreté les plus élevés. L’accès aux soins, à l’éducation et aux infrastructures de base y est limité. Les déséquilibres territoriaux se creusent, exposant certaines zones à l’extrémisme, à la contrebande ou aux migrations internes incontrôlées. « Une population appauvrie, sans espoir, est plus perméable à la radicalisation ou à l’exploitation transfrontalière », prévient un cadre du ministère de la Défense sous anonymat.
Informel et résilience : forces et limites
Face à l’absence d’emplois décents, le secteur informel absorbe près de 90 % des travailleurs urbains. Marchés parallèles, auto-emploi, agriculture vivrière… La débrouille devient un mode de vie. Si cette dynamique prévient l’explosion sociale, elle ne génère ni fiscalité, ni protection sociale, ni planification.
« L’informel est à la fois une solution de résilience sociale et une zone aveugle pour les politiques publiques », souligne Françoise Ngo Mbia, économiste à l’Université de Dschang.
Intelligence économique : un levier pour repenser la politique sociale
Intégrer l’intelligence économique aux politiques de lutte contre la pauvreté, c’est :
- Identifier les zones de fragilité socioéconomique pour y concentrer les investissements publics prioritaires ;
- Cartographier les flux informels et les transformer en pôles économiques viables (microfinance, artisanat, circuits courts) ;
- Protéger les filières agricoles et commerciales stratégiques face à la concurrence étrangère et à l’évasion fiscale ;
- Renforcer l’analyse décisionnelle publique par des données fiables et multisectorielles.
Quelles priorités pour le prochain gouvernement ?
- Déployer un plan de transformation de l’économie informelle en économie inclusive et fiscalisée ;
- Créer un observatoire national de résilience socioéconomique pour orienter les actions ciblées ;
- Lancer un programme d’intelligence économique sociale associant données territoriales, veille sociale et innovation locale ;
- Mettre en place un cadre de dialogue entre administrations, secteur privé et société civile pour concevoir des solutions durables.
« L’intelligence économique, appliquée à la cohésion sociale, peut aider le Cameroun à sortir de la trappe de pauvreté chronique », conclut Charles Kenfack, analyste senior à l’Observatoire stratégique d’Afrique centrale (OSAC).
Noël Ndong