Le Cameroun, ce pays charnière de l’Afrique centrale, vit un moment décisif de son histoire politique.
Quarante-trois ans après l’arrivée au pouvoir du président Paul Biya, le sentiment dominant oscille entre la fierté d’une stabilité rare dans la région et l’impatience d’un peuple en quête de renouveau.
L’élection présidentielle du 12 octobre 2025, soldée par la victoire annoncée du chef de l’État, n’aura pas dissipé les doutes. Pour beaucoup, elle a révélé une fracture profonde entre un pouvoir vieillissant et une société jeune, connectée, frustrée et désireuse d’un avenir à son image.

Un pays stable mais sous tension
Dans les rues de Yaoundé, de Douala ou de Bafoussam, la vie semble suivre son cours. Les marchés sont animés, les embouteillages constants, et la population continue d’afficher un optimisme prudent. Mais sous cette apparente normalité, les tensions sont réelles.
Dans le Grand Nord, où s’est récemment rendu le ministre de l’Administration territoriale Paul Atanga Nji, des manifestations post-électorales ont révélé un malaise croissant. À Maroua, Garoua ou Ngaoundéré, les jeunes accusent le pouvoir d’avoir « confisqué » le vote. « Ce n’est pas seulement une question politique », confie Aïssa Hamadou, enseignante à Garoua. « Les gens veulent se sentir écoutés, considérés, surtout dans une région longtemps marginalisée ».
Au-delà du contentieux électoral, les défis sécuritaires persistent. Dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, la crise née en 2016 continue d’alimenter la défiance envers Yaoundé. Selon les Nations unies, plus de 700 000 personnes sont déplacées internes et plus de 6 000 ont perdu la vie en près d’une décennie de conflit.
Une stabilité régionale à double tranchant
En Afrique centrale, le Cameroun fait figure d’îlot de stabilité au milieu des turbulences : coups d’État au Gabon et au Tchad, transitions incertaines en Centrafrique, recomposition au Congo-Brazzaville. Mais cette stabilité, souvent citée en exemple, repose sur un équilibre précaire. « Le Cameroun reste un État solide, mais c’est une solidité défensive, pas créatrice », analyse le politologue congolais Jean-Marc Mabiala. « Le pays n’est pas en guerre ouverte, mais il n’est plus en paix sociale non plus ».
Sur le plan diplomatique, Yaoundé continue de jouer la carte de la neutralité prudente. Le pays entretient des liens avec la France, la Chine, la Russie et les États-Unis, tout en évitant les alignements idéologiques. Cette stratégie lui permet de rester un acteur régional incontournable, mais elle expose aussi ses limites : l’influence du Cameroun au sein de la CEMAC et de la CEEAC s’effrite face à une montée en puissance de ses voisins.
Un modèle économique en bout de souffle
Le Cameroun reste l’une des économies les plus diversifiées d’Afrique centrale, avec des secteurs porteurs : agriculture, hydrocarbures, services. Mais la croissance, autour de 3,5 %, ne parvient pas à absorber le chômage massif des jeunes. Selon la Banque mondiale, plus de 30 % des moins de 30 ans sont sans emploi ou sous-employés. « Nos diplômes ne servent à rien si on n’a pas les connexions politiques », lâche Rodrigue, jeune diplômé de Douala.
L’économie camerounaise souffre d’un système jugé trop centralisé, trop lent à réformer, et miné par une corruption chronique. Le rapport 2024 de Transparency International classe le Cameroun 144ᵉ sur 180 pays, illustrant la persistance d’une gouvernance défaillante.
La diaspora et la jeunesse : forces dormantes du changement
De Montréal à Paris, en passant par Johannesburg ou Bruxelles, la diaspora camerounaise suit avec attention l’évolution politique du pays. Elle transfère chaque année près de 500 milliards de francs CFA, un peu plus de 2 % du PIB, mais reste largement exclue des processus décisionnels.

« Nous voulons investir, mais pas dans un système opaque », souligne Gisèle Ngassa, entrepreneuse basée à Lyon. À l’intérieur du pays, les mouvements citoyens et les initiatives locales se multiplient. De nouveaux collectifs, souvent apolitiques, prônent la participation communautaire et la transparence. Cette effervescence traduit un changement de mentalité : la politique ne se limite plus au parti unique ou aux figures historiques.
Une image internationale contrastée
Sur la scène internationale, le Cameroun suscite autant de respect que de préoccupation. Les chancelleries saluent la stabilité institutionnelle, mais dénoncent les violations récurrentes des droits humains et l’absence de véritable alternance. La récente réaction du secrétaire général de l’ONU, António Guterres, appelant Yaoundé à un « dialogue inclusif et à une ouverture politique réelle », illustre cette ambivalence : admiration pour la longévité, inquiétude pour l’avenir.
Et maintenant ?
À court terme, le pouvoir cherche à restaurer le calme et à préparer les élections municipales et législatives de 2026. Mais la question essentielle demeure : qui incarnera le Cameroun de demain ? Le président Paul Biya , dans sa sagesse, n’a pas désigné de successeur officiel – tant mieux, le pays n’est pas une monarchie -, et les luttes d’influence au sein du RDPC, son parti, s’intensifient.
Pour l’économiste Célestin Bélibi, « le Cameroun ne doit pas seulement changer de visage politique ; il doit changer de méthode ». Selon lui, « l’avenir appartient à ceux qui feront de la jeunesse, de la décentralisation et de l’innovation les piliers du développement ».
Entre continuité et transition
Le Cameroun avance, lentement mais sûrement, sur un fil tendu entre passé et futur. Son plus grand défi n’est pas d’éviter le chaos – il y parvient encore –, mais de retrouver le souffle du progrès, qui se trouve dans des intelligences plurielles, créatrices d’une nouvelle dynamique, plus adaptée aux réalités et aux enjeux du 21e siècle.
Concluons par ces mots d’un étudiant de Bafoussam : « Nous ne voulons pas tout casser. Nous voulons juste que le pays avance, enfin ».