Alors que 52 des 54 États africains ont reconnu l’État palestinien, le silence persistant du Cameroun et de l’Érythrée interroge.
Derrière cette abstention diplomatique se dessinent des logiques sécuritaires, historiques et géopolitiques bien spécifiques. Depuis la proclamation de l’indépendance palestinienne à Alger en 1988, la cause palestinienne bénéficie d’un large soutien sur le continent africain.
Ce soutien s’inscrit dans une tradition politique de solidarité tiers-mondiste et panafricaniste, incarnée par des figures comme Thomas Sankara, Julius Nyerere ou Nelson Mandela. Plus récemment, la reconnaissance officielle de l’État palestinien par plusieurs pays occidentaux (Irlande, Espagne, Norvège, etc). a contribué à remettre la question au centre des débats diplomatiques mondiaux.
Pourtant, au sein de l’Union africaine, deux pays dérogent à cette ligne de solidarité affichée : le Cameroun et l’Érythrée. Leur silence, loin d’être anecdotique, met en lumière une autre lecture de la diplomatie contemporaine africaine : celle des intérêts nationaux.
Cameroun : la realpolitik sécuritaire
Au Cameroun, la non-reconnaissance de l’État palestinien s’explique en grande partie par la solidité du partenariat sécuritaire avec Israël. Depuis plus de trois décennies, Israël forme et équipe les forces spéciales camerounaises, notamment les unités engagées contre Boko Haram dans le nord et les groupes séparatistes anglophones dans l’ouest. Ce soutien militaire est vital pour le régime de Paul Biya, confronté à plusieurs foyers d’instabilité internes.
Reconnaître un État palestinien aujourd’hui serait perçu comme un geste diplomatique risqué, susceptible d’irriter un partenaire stratégique majeur, et d’envoyer un message ambigu aux mouvements séparatistes qui pourraient y voir un précédent ou un soutien implicite à leurs revendications.
Comme le souligne David Otto, analyste sécuritaire basé à Genève : « Yaoundé redoute de donner des arguments à ceux qui contestent l’unité nationale, dans un contexte où le régime insiste sur le caractère indivisible du Cameroun ».
Érythrée : le poids des rancunes historiques
Dans le cas érythréen, l’abstention est davantage alimentée par un contentieux historique que par des considérations sécuritaires contemporaines. Durant les années 1980, alors que l’Érythrée menait sa lutte pour l’indépendance contre l’Éthiopie, l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) de Yasser Arafat s’était rangée du côté d’Addis-Abeba. Un choix perçu comme une trahison par les combattants érythréens, qui s’en sont longtemps souvenus.
Depuis son indépendance en 1993, l’Érythrée cultive une diplomatie singulière, isolationniste et parfois provocatrice, souvent en rupture avec les positions de l’Union africaine. Son silence vis-à-vis de la Palestine semble s’inscrire dans cette tradition d’indépendance assumée, voire revendiquée, vis-à-vis des grands consensus diplomatiques.
Une solidarité africaine aux contours moins homogènes
L’abstention du Cameroun et de l’Érythrée ne signifie pas une hostilité ouverte à l’égard de la Palestine. Elle illustre plutôt la complexité croissante des positionnements diplomatiques en Afrique, à l’heure où les logiques de solidarité panafricaine cèdent le pas à des calculs d’intérêts nationaux, sécuritaires ou historiques.
Dans un monde multipolaire en recomposition, où chaque alliance compte, la reconnaissance d’un État – aussi symbolique soit-elle – devient un acte diplomatique hautement stratégique.