Cameroun : Paul Biya face au basculement générationnel

La proclamation, lundi 27 octobre, de la victoire du président Paul Biya (92 ans) pour un huitième mandat consécutif, avec 53,66 % des suffrages, ouvre une nouvelle phase d’incertitude pour le Cameroun. 

Une certaine opposition, menée par Issa Tchiroma Bakary, rejette les résultats, dénonçant une “mascarade électorale”. Les tensions post-électorales ont déjà fait au moins six morts à Douala et Garoua. Dans un pays pivot d’Afrique centrale, cette crise révèle un tournant générationnel et structurel aux implications régionales et économiques majeures.

1. Un système en quête d’un nouveau souffle

Après 43 ans de pouvoir, Paul Biya conserve l’appui d’un appareil d’État structuré, mais qui a besoin du sang neuf. Le RDPC, son parti, reste solidement implanté dans les administrations et les forces de sécurité, mais ses relais sociaux s’érodent. Les signaux de fissure se multiplient : tensions internes au sein de l’armée, fatigue de la bureaucratie, et lassitude d’une population qui “ne croit plus à la réforme par le haut”.

Pour la première fois, le président sortant a esquissé une ouverture politique : offre de nomination d’Issa Tchiroma Bakary au poste de Premier ministre, et promesse de réforme du Code électoral. Un geste d’apaisement, mais aussi une reconnaissance implicite de la fragilité du système. “Le pouvoir comprend qu’il ne peut plus gouverner seul, ni comme avant”, analyse un diplomate d’Afrique centrale à Addis-Abeba.

2. Génération Z : le nouvel acteur stratégique

Le moteur du mécontentement n’est plus seulement politique, mais sociétal. La Génération Z camerounaise – près de 5,8 millions de citoyens, soit 20 % de la population – s’affirme comme un acteur de rupture. Hyperconnectée, mondialisée et défiant les cadres traditionnels, elle structure désormais la contestation à travers les réseaux sociaux sous les hashtags #GenZRevolt et #MyVoteMyVoice. “Nous ne croyons plus aux leaders, mais aux causes. Nos réseaux sont notre parti”, confie un jeune activiste de Douala.

Cette jeunesse utilise VPN, messageries cryptées et relais diasporiques pour contourner la censure. Elle s’appuie sur une “internationale numérique africaine”, reliant les diasporas de Montréal, Bruxelles et Washington. Cette stratégie de communication instantanée désarme la propagande d’État et expose les violences en temps réel. Selon une source sécuritaire, les autorités redoutent désormais une cyber-contestation fluide, insaisissable et impossible à neutraliser par les méthodes classiques.

3. Risques sécuritaires et stabilité régionale

Le Cameroun reste un maillon central de la sécurité du Golfe de Guinée et un point d’appui logistique stratégique pour le Tchad et la République centrafricaine. Toute déstabilisation prolongée à Yaoundé aurait des conséquences directes sur les opérations régionales, notamment la lutte contre Boko Haram et les groupes armés du bassin du Lac Tchad.

Les forces de sécurité, bien équipées mais sous pression, ont reçu l’ordre de “contenir sans écraser”. Une consigne inhabituelle, révélatrice d’une fragilité politique et d’une peur de l’embrasement. Le contrôle des campus universitaires de Yaoundé II et Bafoussam reste une priorité : c’est là que se cristallise la fronde étudiante.

4.  décryptage économique et intelligence stratégique

Le risque pays du Cameroun, jusqu’ici noté “modéré” par la Banque mondiale, s’est brusquement détérioré depuis la proclamation des résultats. Les investisseurs étrangers redoutent une crise de gouvernance prolongée susceptible d’affecter les corridors commerciaux Douala–Ndjamena et Douala–Bangui.

Les opérateurs télécoms (MTN, Orange) sont pris entre les injonctions sécuritaires du pouvoir et la pression internationale sur les libertés numériques. Une coupure d’Internet totale aurait un coût estimé à 5 milliards de FCFA par jour pour l’économie nationale (source : GSMA 2025).

Le Cameroun reste cependant 14e économie d’Afrique, avec un rôle clé dans le transit énergétique du Golfe de Guinée. Les majors pétrolières (TotalEnergies, Perenco) surveillent attentivement l’évolution politique, conscientes que la stabilité institutionnelle conditionne la poursuite de leurs investissements offshore. “Un Cameroun instable, c’est tout le couloir stratégique du Golfe de Guinée qui vacille”, souligne un analyste de l’IFRI.

5. Perspectives : fin de cycle et recomposition

Le scénario le plus probable, selon plusieurs sources diplomatiques, est celui d’une transition contrôlée : maintien de Paul Biya à la présidence, ouverture politique mesurée, intégration partielle de l’opposition dans un gouvernement de “cohésion nationale”. Mais la dynamique sociale, elle, semble irréversible. La jeunesse numérique a brisé la peur et le silence. Son mouvement, décentralisé, pourrait à terme imposer une réforme politique systémique.

En filigrane, c’est toute la gouvernance postcoloniale du Cameroun qui vacille, confrontée à une génération sans leader, mais avec une vision.

Le Cameroun entre dans une phase où l’équation du pouvoir ne se joue plus dans les urnes, mais dans les flux d’informations, les récits et la maîtrise du numérique. Entre le vieux pouvoir pyramidal et la génération en réseau, c’est le modèle même de l’État camerounais – et peut-être celui de l’Afrique politique – qui se réinvente.

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