
Malgré des engagements formels en faveur de la transition énergétique, le Cameroun s’inscrit pleinement dans la dynamique continentale de dépendance aux hydrocarbures.
Le pays, riche en gaz naturel et doté de réserves pétrolières offshore et onshore, continue de miser sur l’exploitation des ressources fossiles pour financer son développement, au détriment d’une bascule rapide vers les renouvelables.
Une économie encore sous perfusion pétrolière
Le secteur pétrolier et gazier représente près de 25 % des recettes d’exportation du Cameroun, bien que sa production ait décliné depuis son pic des années 1980. Aujourd’hui, le pays produit environ 70 000 barils de pétrole par jour, un chiffre modeste à l’échelle africaine, mais qui reste stratégique pour son équilibre macroéconomique.
Avec le développement du champ gazier de Kribi (exploité par Perenco), et les projets autour du bassin du Rio del Rey, le Cameroun entend renforcer son rôle sur l’échiquier énergétique régional, notamment via la liquéfaction du gaz naturel en vue d’exportations vers l’Europe et l’Asie. Le terminal FLNG de Hilli Episeyo, premier du genre en Afrique, symbolise cette stratégie gazière tournée vers l’international.
« Le Cameroun ne peut pas ignorer la manne des hydrocarbures dans un contexte de rareté budgétaire et de besoins en infrastructures », confie un haut fonctionnaire du ministère de l’Eau et de l’Énergie.
Raffinage, dépendance et déficit stratégique
Malgré son statut de producteur, le pays reste fortement dépendant des importations de produits raffinés. La fermeture prolongée de la SONARA (raffinerie de Limbé), suite à un incendie en 2019, a plongé le pays dans une crise énergétique coûteuse. Sa reconstruction partielle, toujours en cours, est freinée par un manque de financements et une gouvernance incertaine. Résultat : le Cameroun importe la quasi-totalité de ses carburants, exposant son économie aux chocs de prix internationaux, tout en aggravant son déficit commercial.
Renouvelables : potentiel immense, mise en œuvre timide
Sur le papier, le potentiel énergétique renouvelable du Cameroun est colossal :
- 6 000 MW de potentiel hydroélectrique, dont seulement 20 % exploité (Lom Pangar, Memve’ele, Nachtigal en cours de finalisation).
- Environ 5,5 kWh/m²/jour de rayonnement solaire moyen, suffisant pour un déploiement massif du photovoltaïque.
Pourtant, les investissements dans les énergies vertes restent marginaux. Selon les dernières estimations, moins de 5 % des financements énergétiques nationaux sont orientés vers les renouvelables hors hydroélectricité. La faiblesse du réseau électrique, les lenteurs administratives et le manque d’incitations fiscales freinent les acteurs privés.
Souveraineté énergétique et dilemme stratégique
Le Cameroun incarne le dilemme africain : capitaliser sur les hydrocarbures pour financer le développement tout en retardant l’inévitable transition énergétique. Dans un contexte de pression internationale croissante pour la décarbonation, la posture du pays pourrait devenir un handicap stratégique, notamment vis-à-vis des financements climatiques.
« Le Cameroun ne pourra pas atteindre une véritable souveraineté énergétique sans industrialisation locale et diversification de son mix », prévient un analyste régional du secteur.
Le Cameroun, comme nombre de ses voisins, se retrouve à la croisée des chemins. L’heure n’est plus à l’opposition entre pétrole et solaire, mais à la construction d’une stratégie énergétique intégrée et souveraine. Il s’agira, pour les décideurs camerounais, de dépasser le modèle extractiviste en investissant dans la transformation locale, la montée en puissance des renouvelables et la maîtrise technologique. Un défi autant économique que géopolitique.
Projets énergétiques majeurs en cours au Cameroun
Projet | Type d’énergie / mix (hydro, solaire, hybride) | Capacité / puissance attendue | Région(s) concernées / zones desservies | Calendrier / échéance estimée | Enjeux stratégiques |
Nachtigal | Hydroélectrique | ~ 420 MW | Sanaga, au nord-est de Yaoundé- réseau interconnecté Sud | Mise en service prévue 2024 | Renforcer la capacité de base, réduire la dépendance aux centrales thermiques, stabiliser le réseau Sud |
Kikot‑Mbebe | Hydroélectrique | ~ 500 MW | Fleuve Sanaga — influence pour le Centre, mais capacité nationale | Début 2030s pour mise en service & développement des appels d’offres | Projet structurant pour la croissance énergétique, enjeu de transfert de compétences et développement durable |
Grand Eweng | Hydroélectrique | ~ 1 080 MW (phase initiale ~ 800 MW) | Sanaga, entre Yaoundé et Douala — Littoral / Centre‐Ouest | Prévision de mise en service autour de 2028 | Très grande capacité, visée à satisfaire la demande urbaine, industrielle, export potentiel |
Projet solaire + stockage par Scatec / ENEO | Solaire + batteries | + 28,6 MW solaire + ~ 19,2 MWh stockage supplémentaires (extension des centrales existantes à Maroua & Guider) | Régions du Nord et Extrême‑Nord — zones éloignées souvent mal desservies | En cours (2023‑2024) pour extension | Diversifier le mix, améliorer fiabilité hors réseau, réduire le coût de l’électrification rurale |
Centrales solaires en maturation (Ngaoundéré, Maroua, Guider, Garoua) | Solaire photovoltaïque | Environ 75 MW répartis sur plusieurs sites : ex. 20 MW (Ngaoundéré), 15 MW (Maroua), 10 MW (Guider), 30 MW (Garoua) | Régions de l’Adamaoua, Extrême‑Nord, Nord | Projets “en cours de maturation” — calendrier dépend des financements et des autorisations | Répondre aux besoins d’électrification locale, réduire l’usage du diesel, accroître résilience énergétique dans les zones isolées |
Centrale hydroélectrique Mbakaou (projet + solaire flottant) | Hydro + solaire flottant | ~ 250‑300 MW pour la centrale hydro ; solaire flottant au‑dessus de retenue existante | Région de l’Adamaoua, Nord / Extrême‑Nord Nord du pays, export vers le Tchad, interconnexion Nord‑Sud | Études de faisabilité en cours (technique, environnement, social) ; démarrage possible vers 2025 |