Face à une Afrique en pleine transformation, l’Union européenne se retrouve à un moment critique. Alors que la Chine construit et que la Russie arme, Bruxelles peine à définir une voie claire, oscillant entre principes et pragmatisme.
Un rapport du Centre de Politique Européenne (CEP) met en garde : l’UE pourrait bien perdre l’Afrique, non pas faute de discours, mais faute de stratégie.
Une Afrique convoitée, un terrain de rivalités géoéconomiques
En 2024, la Chine a investi près de 11 milliards de dollars dans des infrastructures clés en Afrique – routes, lignes électriques, ports, data centers. La Russie, de son côté, a étendu son empreinte militaire en signant des accords de défense dans plus de 20 pays africains, tout en consolidant ses positions dans des zones en conflit. L’Union européenne, pourtant historiquement bien implantée via l’aide publique au développement, semble de plus en plus spectatrice, cantonnée à une posture normative centrée sur la démocratie, la bonne gouvernance et les droits humains.
« L’Europe parle de valeurs, mais n’investit pas à la hauteur de ses ambitions », résume Eleonora Poli, économiste au CEP et coautrice du rapport Perdre l’Afrique ?. En clair, les principes ne suffisent plus, surtout quand les rivaux apportent des solutions concrètes.
Une politique commerciale désalignée
Le CEP critique l’inadéquation entre les discours européens et les attentes africaines. Si les Accords de Partenariat Économique (APE) ou les dialogues techniques existent, ils ne génèrent ni emploi ni valeur suffisante sur le continent. Or, deux domaines pourraient changer la donne :
- Le numérique, avec une croissance annuelle de plus de 15 % en Afrique, mais encore freiné par le manque d’infrastructures cloud, de financement, et d’accès aux marchés européens.
- L’hydrogène vert, ressource stratégique où l’Afrique détient près de 60 % du potentiel mondial, mais reste marginalisée faute de mécanismes d’investissement sécurisés et d’engagements politiques clairs.
Du discours normatif à la stratégie partenariale
Le CEP plaide pour une refonte profonde de l’approche européenne. Il ne s’agit plus de « former » l’Afrique à la norme européenne, mais de co-construire des projets basés sur le partage des risques et la création de valeur locale. Des outils concrets sont proposés : garanties de crédit à l’exportation, accords d’achat public, dialogues réglementaires bilatéraux, et fonds de co-investissement dans les chaînes de valeur africaines. « Ceux qui veulent gagner l’Afrique doivent cesser de parler pour elle, et commencer à bâtir avec elle », insiste André Wolf, coauteur du rapport.
Une urgence stratégique
Dans un contexte où l’Afrique cherche à diversifier ses alliances, l’Europe est confrontée à un choix existentiel : rester un acteur crédible ou disparaître du jeu africain. Le risque est réel : se voir reléguée au rang de puissance secondaire, au profit de partenaires perçus comme plus efficaces, moins intrusifs, et plus cohérents. Pour Eleonora Poli, « l’Afrique n’a plus besoin de donneurs de leçons, mais de co-bâtisseurs de solutions ».
L’Europe doit sortir de l’ambiguïté. Si elle souhaite rester un acteur clé en Afrique, elle devra assumer une nouvelle posture : stratégique, collaborative, et ancrée dans les réalités économiques africaines. Il ne s’agit plus de savoir ce que l’Europe veut faire en Afrique, mais ce qu’elle veut être face à une Afrique qui, désormais, choisit ses partenaires.
Noël Ndong