
Entre ambitions économiques, contraintes sécuritaires et limites budgétaires, la route devient un champ de bataille géopolitique et logistique en Afrique centrale.
À mi-parcours de la Stratégie nationale de développement 2020–2030 (SND30), le gouvernement camerounais affiche un bilan mitigé. Seuls 2000 km de routes bitumées ont été réalisés sur les 6000 km programmés entre 2020 et 2024. Lors d’un point de presse tenu à Yaoundé, le ministre des Travaux publics Emmanuel Nganou Djoumessi a assumé cette contre-performance, en invoquant des freins multiformes : « L’insécurité dans certaines zones, les retards de paiement dus aux contraintes budgétaires et les séquelles du Covid-19 ont sérieusement ralenti notre rythme d’exécution ».
Enjeux économiques et géostratégiques
Au-delà des chiffres, le réseau routier camerounais est au cœur d’enjeux régionaux. Il irrigue l’économie et soutient les corridors stratégiques, en particulier Douala–Ndjamena et Douala–Bangui, artères vitales pour les échanges avec le Tchad et la RCA. « Si la route de Ngaoundéré à Garoua n’est pas reconstruite, c’est tout le corridor qui s’effondre. Nous ne pouvons plus dépendre uniquement du port de Douala si l’interne est bloqué », a déclaré Dr Jules N. Ateba, expert en aménagement du territoire.
Rien que le projet Ngaoundéré–Garoua (278 km), approuvé par la BAD, mobilisera 182 milliards FCFA pour désenclaver le nord et soutenir la relance du port fluvial de Garoua.
Coûts élevés, financement sous tension
- Coût moyen de construction d’une route bitumée : 250 à 650 millions FCFA/km
- Coût estimé pour l’entretien annuel du réseau : 100 à 150 milliards FCFA
- Part de routes bitumées : seulement 8,6 % du réseau total (121 873 km)
Malgré la réforme du Fonds Routier en 2022, les entreprises dénoncent toujours l’irrégularité des paiements : « Depuis deux ans, les paiements arrivent avec 6 à 12 mois de retard. Pour une PME locale, c’est invivable. On travaille à crédit », déclare un Directeur technique d’une société BTP locale.
L’entretien routier : le talon d’Achille
L’analyse du ministère des Travaux publics révèle une dégradation rapide des routes communales : seules 24,2 % sont en bon ou moyen état. Or, ces voies représentent plus de 80 % du linéaire national. Faute d’entretien, des axes récemment réhabilités se dégradent déjà. « On a bitumé ici en 2021, mais trois saisons de pluie ont suffi pour que les trous reviennent. Rien n’a été fait pour l’entretien », regrette une habitante de Ngoumou.
Pour Franck Obam, ingénieur consultant en infrastructures, « construire sans entretenir revient à gaspiller de l’argent public. La maintenance doit être anticipée dès la conception des projets ».
Classement régional (routes bitumées – 2024)
Pays | Routes bitumées | Linéaire total | État général |
Cameroun | 10 467 km | 121 873 km | Moyen à bon |
Côte d’Ivoire | 8 100 km | 82 000 km | Bon |
Sénégal | 6 569 km | 16 500 km | Bon |
Tchad | ~3 000 km | 45 000 km | Très faible |
Selon un économiste des infrastructures, la solution n’est pas toujours plus d’argent, mais une meilleure planification : « Les routes doivent être pensées comme des actifs, pas comme des rubans inauguraux ».
Le Cameroun dispose de l’un des réseaux routiers les plus étendus d’Afrique centrale, mais il reste confronté à un paradoxe structurel : une forte ambition politique freinée par des réalités budgétaires, sécuritaires et techniques. Le défi des prochaines années ne sera pas seulement de construire plus, mais surtout de mieux entretenir, mieux planifier et mieux sécuriser ce patrimoine vital pour la souveraineté logistique et la croissance régionale.