Un tournant stratégique pour la souveraineté énergétique et la maîtrise d’un secteur en crise.
L’État du Cameroun reprend le contrôle total d’Enéo. Ce 19 novembre 2025, le gouvernement a conclu avec le fonds britannique Actis l’accord de rachat de ses 51 % de parts, pour un montant estimé à 119 millions d’euros, soit environ 77,9 milliards de F CFA, selon des informations concordantes rapportées notamment par Africa Intelligence. Energy of Cameroon devient ainsi une entreprise entièrement camerounaise, une première depuis plus de deux décennies.
Un retour aux sources : rappel de la privatisation de 2006
L’histoire d’Enéo est marquée par la privatisation engagée dans les années 2000 dans un contexte de réformes structurelles. En 2006, AES Corporation (États-Unis) avait racheté la majorité des parts de la société publique SONEL dans le cadre d’un programme imposé par les bailleurs internationaux.
En 2014, Actis prend le relais en acquérant les actifs d’AES, devenant actionnaire majoritaire à hauteur de 51 %, tandis que l’État du Cameroun conservait 44 % et le personnel 5 %.
Presque vingt ans après, Yaoundé met fin à ce cycle, estimant que la privatisation n’a pas permis de résorber les coupures d’électricité ni de renforcer les capacités de production.
Un processus politique assumé et piloté par la Présidence
La décision de racheter Enéo remonte officiellement au début de l’année 2023. Elle a été accélérée par une instruction présidentielle du 5 septembre 2023, transmise par le secrétaire général de la Présidence, Ferdinand Ngoh Ngoh, au secrétaire général des Services du Premier ministre, Séraphin Magloire Fouda.
Le chef de l’État prescrivait alors la création d’un comité interministériel chargé du rachat, piloté par le ministre des Finances, Louis Paul Motaze, accompagné des ministres de l’Eau et de l’Énergie, de l’Économie ainsi que de représentants de la Présidence, de la Primature et de la CNPS, structure appelée à porter l’opération financière.
Pour évaluer la valeur des actions, l’État avait mandaté Financia Capital, dont les estimations ont servi de base aux négociations avec Actis.
Souveraineté énergétique et intelligence économique
La nationalisation d’Enéo répond à un double impératif : rétablir la souveraineté énergétique et répondre aux critiques croissantes des usagers sur les coupures d’électricité. Le gouvernement reprochait implicitement à Actis une gestion orientée vers la rentabilité financière au détriment des investissements structurels dans la distribution.
En reprenant le contrôle total, le Cameroun entend désormais :
- accélérer la restructuration de la distribution électrique,
- attirer de nouveaux partenaires techniques sous contrôle étatique,
- sécuriser les grands projets énergétiques (Nachtigal, Memve’ele, Bini à Warak),
- et renforcer la stabilité du climat des affaires.
La nationalisation constitue un geste fort, mais elle pose désormais un défi majeur : transformer la maîtrise publique en amélioration tangible du service. Yaoundé devra concilier souveraineté, efficacité opérationnelle et attractivité économique – un test crucial pour la stratégie énergétique du pays à l’horizon 2030.