24 août 2025

Cameroun : le rejet de la requête déclarant Paul Biya inéligible

Alors que la présidentielle du 12 octobre approche, le Conseil constitutionnel camerounais a rejeté la requête déposée par Me Akere Muna, candidat déclaré, visant à faire constater l’inéligibilité du président sortant Paul Biya. Ce dernier, âgé de 92 ans et au pouvoir depuis 1982, brigue un huitième mandat. Si la décision n’est pas surprenante au regard du cadre juridique actuel, elle soulève des interrogations sur l’état du droit électoral, le fonctionnement institutionnel et la perception de l’équité démocratique au Cameroun. Une requête politiquement audacieuse mais juridiquement fragile Dans son recours, Akere Muna invoquait l’inaptitude présumée de Paul Biya à gouverner, soulignant son âge avancé et sa faible visibilité publique. Il faisait notamment appel à l’article 118 du code électoral, qui prévoit qu’un candidat peut être déclaré inéligible s’il se trouve sous l’influence ou la dépendance d’un tiers ou d’une puissance étrangère. Mais le Conseil constitutionnel a estimé que les éléments apportés ne constituaient pas une preuve suffisante d’une telle dépendance. Aucun certificat médical, ni élément factuel concret ne permettait d’établir un empêchement juridique à la candidature du président sortant. Juridiquement, la Constitution camerounaise ne prévoit ni limite d’âge ni évaluation médicale obligatoire pour les candidats à la présidence. Le cadre légal laisse donc peu de marge pour une exclusion sur la base de l’âge ou de la capacité physique, à moins d’une procédure médicale officielle – qui reste absente du droit en vigueur. Une décision conforme à la loi, mais pas sans débats Le rejet de la requête est cohérent avec les textes en vigueur, mais il illustre aussi les limites du système électoral camerounais, où le droit reste peu adapté aux préoccupations modernes sur la gouvernance, la transparence et la responsabilité. Selon plusieurs observateurs, le recours d’Akere Muna visait surtout à ouvrir un débat public sur la légitimité démocratique du pouvoir en place. Dans ce sens, même rejetée, sa démarche a permis de ramener sur le devant de la scène des questions essentielles : l’alternance, la vitalité institutionnelle, l’état de santé des dirigeants, ou encore l’aptitude des juges constitutionnels à exercer leur mission de manière indépendante. Pour certains juristes, la décision du Conseil reflète la prédominance du formalisme juridique sur les considérations d’intérêt public, tandis que d’autres soulignent le risque de dérive si l’on permettait des exclusions de candidature sur des critères subjectifs ou politiques. Entre statu quo institutionnel et expression d’un malaise politique Cette affaire révèle surtout un clivage profond entre la légalité et la légitimité, entre un système qui fonctionne selon les règles établies, et une opinion publique qui aspire à plus de transparence, de renouvellement et de contrôle démocratique. L’âge de Paul Biya, son style de gouvernance très discret, et l’absence apparente de préparation à la succession renforceraient l’idée d’un pouvoir verrouillé, peu perméable à la critique, selon certains. D’un autre côté, ses partisans insistent sur la stabilité politique qu’il incarne, sur son droit à se présenter comme tout citoyen, et sur le rôle du peuple souverain dans le choix de ses dirigeants – à travers les urnes, non les tribunaux. Un moment révélateur à quelques semaines d’un scrutin crucial Le rejet de la requête d’Akere Muna ne constitue pas un événement juridique exceptionnel, mais il marque un moment politique significatif dans une élection aux enjeux élevés. Il interroge la place des institutions dans la régulation du pouvoir, la capacité de l’opposition à se faire entendre, et l’état général du débat démocratique dans un pays où l’alternance n’a jamais été vécue au sommet de l’État. La présidentielle de 2025 s’annonce comme un test pour la crédibilité du processus électoral, autant que pour la résilience d’un système en proie aux critiques mais toujours solidement ancré. La controverse reste la seule façon pour l’opposition de rester visible  – même si cela ne modifie pas l’issue judiciaire.

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Boko Haram/Cameroun : une coopération régionale permet la libération de dix enfants

Une opération conjointe menée par les forces du Cameroun, du Nigeria et du Tchad a permis la libération de dix enfants enlevés par des éléments présumés de Boko Haram dans l’Extrême-Nord camerounais. Un adolescent n’a pas survécu à la captivité. Une semaine après leur enlèvement, dix enfants camerounais ont été libérés ce jeudi dans la région de l’Extrême-Nord, à la suite d’une opération conjointe menée par les forces armées et de sécurité du Cameroun, du Nigeria et du Tchad, appuyées par la Force multinationale mixte (FMM). Selon le gouverneur de la région, les enfants avaient été kidnappés le 13 août alors qu’ils se trouvaient à bord d’un bus assurant la liaison entre Kousseri et Maroua, sur la route nationale N°1. L’attaque a été attribuée à des membres présumés de Boko Haram, un groupe islamiste actif depuis plus d’une décennie autour du bassin du lac Tchad. Les enfants ont été retrouvés vivants à environ vingt kilomètres de la frontière nigériane, mais un adolescent enlevé au même moment a malheureusement été tué par les ravisseurs, ont précisé les autorités locales. Une coordination régionale en progrès Cette libération marque un succès important pour la coopération régionale contre Boko Haram. La Force multinationale mixte, qui regroupe les armées du Cameroun, du Nigeria, du Tchad et du Niger, a renforcé ses opérations transfrontalières dans les zones reculées du lac Tchad, où le groupe djihadiste reste actif malgré des revers militaires répétés. L’efficacité de cette dernière opération met en lumière la montée en puissance des mécanismes de coordination entre les forces armées des trois pays directement concernés, dans une région où les frontières poreuses facilitent les mouvements des groupes armés. L’Extrême-Nord toujours sous pression Depuis 2014, la région de l’Extrême-Nord du Cameroun reste l’un des points chauds du conflit contre Boko Haram, avec des centaines d’attaques, de kidnappings et de déplacements forcés. Bien que l’activité du groupe ait diminué par rapport à son pic, il conserve une capacité de nuisance importante, notamment via des cellules locales opérant de manière mobile. Les enlèvements d’enfants et de civils restent une stratégie de terreur utilisée pour obtenir rançons, recruter de force ou déstabiliser les communautés locales. Une dynamique à maintenir La récente opération de libération montre que la réponse militaire régionale peut porter ses fruits lorsqu’elle est rapide, coordonnée et appuyée par des échanges d’information efficaces. Mais les analystes sécuritaires soulignent que la seule dimension militaire ne suffira pas à éradiquer durablement l’insurrection islamiste. La stabilisation de la région exige aussi des programmes de développement, de réinsertion des ex-combattants et de renforcement de l’État dans les zones rurales marginalisées où Boko Haram recrute. La libération des enfants est un motif de soulagement, mais elle rappelle aussi la fragilité persistante des zones frontalières du bassin du lac Tchad. La consolidation des acquis sécuritaires passera par une approche régionale intégrée, mêlant sécurité, développement et résilience communautaire. Lutte contre Boko Haram : Chronologie synthétique opérations régionales 🔹 2015 – Création de la Force multinationale mixte (FMM) 🔹 2015 – Opération « Lafiya Dole » (Nigeria) 🔹 2016 – Offensive conjointe Nigéria–Cameroun–Tchad 🔹 2017 – Début des opérations transfrontalières coordonnées 🔹 2020 – « Colère de Bohoma » (Tchad) 🔹 2021 – Mort d’Abubakar Shekau 🔹 2022 – Reprise des opérations dans les zones insulaires du lac Tchad 🔹 2023 – Offensive autour de Kukawa (Nigeria) 🔹 Août 2024 – Opération transfrontalière « Shara » 🔹Août 2025 – Libération de dix enfants au Cameroun

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Cartographier autrement : l’Afrique défie l’héritage Mercator

En soutenant officiellement la campagne “Correct the Map”, l’Union africaine engage une offensive symbolique et géopolitique majeure. Objectif : redonner au continent sa juste représentation spatiale – et narrative – face aux distorsions héritées de l’époque coloniale. C’est une revendication cartographique, mais aux implications politiques profondes. L’Union africaine (UA) a annoncé son soutien à la campagne “Correct the Map”, qui exige le remplacement de la projection Mercator – omniprésente dans les atlas, les systèmes de navigation et les salles de classe – par la projection Equal Earth, plus fidèle aux proportions réelles des continents. Au cœur de ce plaidoyer : la réhabilitation visuelle, mentale et stratégique du continent africain, longtemps relégué à la marge – littéralement – sur les planisphères du monde. « Ce n’est pas une affaire de simple représentation, mais une question de souveraineté cognitive, de dignité et d’influence », affirme Selma Malika Haddadi, vice-présidente de la Commission de l’UA. Une distorsion historique, aux effets contemporains Créée en 1569, la projection de Gerardus Mercator a été pensée pour faciliter la navigation maritime. Mais cette carte allonge les terres proches des pôles et réduit celles de l’équateur, écrasant l’Afrique visuellement. Résultat : le Groenland paraît aussi grand que l’Afrique, alors qu’il est 14 fois plus petit. L’Europe et l’Amérique du Nord sont surdimensionnées. L’Afrique, visuellement diminuée, est aussi géopolitiquement marginalisée. Selon Fara Ndiaye, cofondatrice de Speak Up Africa, cette distorsion n’est pas neutre : « Elle alimente un imaginaire où l’Afrique est périphérique, inférieure. Cela commence dès l’enfance, à l’école ». Equal Earth : vers une carte plus juste Face à cela, des géographes américains ont mis au point en 2018 Equal Earth, une projection pseudo-cylindrique qui respecte la surface réelle des continents, sans sacrifier leur lisibilité. Déjà adoptée par la Banque mondiale, elle est soutenue par des acteurs africains comme Africa No Filter, qui militent pour son intégration dans l’éducation, les institutions et les interfaces numériques. La campagne vise aussi Google, qui continue d’utiliser Mercator par défaut sur mobile, malgré l’introduction du globe 3D sur desktop. « Il est temps que les outils numériques reflètent un monde équitable », souligne Moky Makura, directrice exécutive d’Africa No Filter. Cartes mentales, cartes de pouvoir La bataille cartographique est aussi une bataille de récit mondial. L’UA inscrit ce combat dans une dynamique plus large : restitution des biens culturels, débats sur les réparations coloniales, réforme des instances internationales (Conseil de sécurité de l’ONU, FMI, Banque mondiale). Changer la carte, c’est changer le centre de gravité symbolique. Car la carte façonne le regard, influence les politiques éducatives, médiatiques, diplomatiques. « Il ne s’agit pas de recentrer l’Afrique par orgueil, mais de corriger un déséquilibre structurel dans les outils de connaissance et de représentation », analyse un conseiller de la Commission UA. Un enjeu stratégique dans un monde en recomposition À l’horizon 2050, l’Afrique comptera près de 2,5 milliards d’habitants – soit un humain sur quatre. Riche en ressources critiques, au cœur des enjeux migratoires, énergétiques et climatiques, le continent attire les appétits : Chine, Russie, Turquie, puissances du Golfe et Occident y redoublent d’activisme. L’UA, en renforçant sa diplomatie du soft power, cherche à peser davantage dans l’agenda mondial. Ce changement de carte pourrait ainsi renforcer la posture stratégique de l’Afrique dans les négociations globales. Un petit pas symbolique, mais un levier d’influence majeur. Une demande portée jusqu’à l’ONU La campagne “Correct the Map” a officiellement saisi le Comité d’experts UN-GGIM (ONU) sur l’information géospatiale, qui examine actuellement la possibilité d’une recommandation mondiale sur les projections cartographiques. De plus en plus d’universitaires, ONG et diplomates hors d’Afrique appuient ce plaidoyer. Dans un monde où les cartes restent des instruments de pouvoir, décoloniser la représentation du globe devient un acte stratégique autant que pédagogique. « La carte est une arme silencieuse. L’Afrique demande simplement qu’on en change la mire », conclut un diplomate ouest-africain.

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