Pêche illégale : Le Cameroun face au défi de sa souveraineté maritime
Alors que l’accord mondial sur les subventions à la pêche entre en vigueur, Yaoundé voit s’ouvrir une fenêtre stratégique pour restaurer le contrôle de ses eaux et redéfinir sa position dans la gouvernance des océans. À l’heure où l’accord de l’OMC interdisant les subventions à la pêche illégale entre en vigueur (15 septembre 2025), le Cameroun, fort de ses 402 km de littoral et d’un potentiel halieutique majeur mais en déclin, fait face à une équation stratégique : ratifier pour réguler ou rester spectateur d’un pillage maritime endémique. Un océan de pertes économiques Selon les autorités camerounaises, la pêche illicite représente une hémorragie économique évaluée à 100 milliards de FCFA (environ 152 millions d’euros) par an. « Ce n’est pas qu’une perte de poissons, c’est une perte de souveraineté, de revenus et de stabilité », confie un cadre du MINEPIA sous couvert d’anonymat. Le fléau est alimenté par la présence persistante de flottes industrielles étrangères, notamment chinoises, turques et européennes, opérant parfois sous couvert de licences floues ou de complicités locales. Le golfe de Guinée, zone grise sécuritaire, est devenu un théâtre d’opérations pour des navires usant de techniques destructrices et échappant à tout contrôle. Une filière stratégique sous tension Le secteur halieutique est pourtant vital pour le Cameroun : il représente 5 % du PIB agricole, 200 000 emplois directs, et fournit jusqu’à 60 % des protéines animales dans les régions côtières, selon la FAO. Mais la pêche artisanale, qui assure l’essentiel de la production locale, est marginalisée. Faute d’investissements, de systèmes de conservation, et d’accès équitable aux ressources, les communautés locales s’essoufflent face à la concurrence industrielle. Une ratification stratégique… encore en suspens Bien que l’accord de l’OMC interdise les aides aux navires illégaux et promette plus de transparence, le Cameroun n’a pas encore ratifié le texte. Un paradoxe pour un pays directement concerné. Le défi est technique mais aussi institutionnel. La surveillance maritime reste embryonnaire, malgré la création du Centre national de surveillance des pêches (CNSP), qui opère avec des moyens limités. Le recueil de données, indispensable pour réclamer une application équitable de l’accord, reste lacunaire. Pourtant, des mécanismes de soutien existent. L’OMC a prévu un fonds d’assistance de 18 millions de dollars destiné à accompagner les pays en développement dans la mise en œuvre du texte. Une manne qui reste inexploitée par Yaoundé. Le levier d’un repositionnement géopolitique Derrière la question halieutique, c’est une lecture géopolitique qui s’impose. En pleine recomposition des équilibres en Afrique centrale, et alors que le Golfe de Guinée concentre trafics, piraterie, flux migratoires et enjeux énergétiques, la maîtrise des ressources maritimes devient un enjeu de puissance. « La ratification de l’accord pourrait servir de levier pour renégocier les licences de pêche avec des États tiers ou renforcer le contrôle de la Zone Économique Exclusive (ZEE) », explique Dr Nadine Ngo Nlend, experte en gouvernance maritime à l’Université de Douala. Elle appelle à une approche coordonnée au sein de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) pour faire front commun face aux pressions extérieures. Une souveraineté bleue à reconquérir Au-delà des poissons, c’est donc la souveraineté économique, alimentaire et stratégique du Cameroun qui se joue. La ratification de l’accord de l’OMC, couplée à un renforcement institutionnel et diplomatique, pourrait marquer un tournant. Mais à condition que le pays ne se contente pas d’un simple geste symbolique. L’enjeu est d’articuler intelligence économique, diplomatie environnementale et sécurisation des ressources – dans une région où l’océan reste trop souvent la dernière frontière du droit. Encadré : Les chiffres clés de la pêche au Cameroun Pour Yaoundé, l’accord mondial sur les subventions à la pêche n’est pas qu’une contrainte normative. C’est une arme diplomatique et économique qu’il reste à saisir – pour sortir de la marginalité maritime et reprendre la main sur un bien commun vital : ses océans.
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