Alors que des rumeurs d’exfiltration du président Rajoelina circulent, Paris appelle au respect de l’ordre constitutionnel dans un pays au bord de l’implosion politique. Une exfiltration sous hypothèse, une île sous tension. Alors que Madagascar s’enfonce dans une crise politico-militaire sans précédent depuis la fin de la Transition de 2009, les spéculations autour d’une éventuelle exfiltration du président Andry Rajoelina par un avion militaire français depuis l’île Sainte-Marie agitent les milieux diplomatiques. Interrogé en marge du sommet pour la paix à Charm el-Cheikh, Emmanuel Macron a botté en touche : « Je ne confirme rien aujourd’hui », a-t-il déclaré, tout en exprimant sa « grande préoccupation » face à la situation dans la Grande Île. Ce refus de confirmer, en langage diplomatique, vaut souvent reconnaissance implicite d’un soutien logistique discret. Une crise multidimensionnelle : sociale, militaire, institutionnelle Le mouvement Génération Z, déclenché le 25 septembre sur fond de pénuries d’eau et d’électricité, a rapidement muté en contestation politique radicale, ciblant directement la légitimité du président malgache. Malgré la dissolution du gouvernement et la nomination d’un cabinet militarisé, la colère populaire s’amplifie. La fracture désormais visible au sein de l’armée – matérialisée par l’insubordination du CAPSAT (unité stratégique) – a transformé la crise en affrontement civilo-militaire. Cette unité a unilatéralement nommé un nouveau chef d’état-major, le général Démosthène Pikulas, défiant l’autorité présidentielle. Pour la présidence, « il s’agit d’une tentative de coup de force ». Réactions régionales : entre inquiétude et prévention L’Union Africaine, par la voix de Mahmoud All Youssouf, a exprimé sa « profonde inquiétude » et appelé « civils et militaires à la retenue, au dialogue, et au respect de la Constitution ». La SADC (Communauté de développement de l’Afrique australe) a convoqué une réunion d’urgence, tandis que les chefs d’État des Comores, de Maurice et d’Afrique du Sud se sont alignés sur une position commune : « préserver l’ordre constitutionnel à Madagascar est une priorité régionale ». Une crise prolongée aurait des effets domino sur la stabiliité de cette région de l’ocean indien. Enjeux géoéconomiques : la stabilité, clef de l’attractivité Madagascar, positionnée stratégiquement sur les grandes routes maritimes indo-pacifiques, est également convoitée pour ses ressources minières stratégiques : nickel, graphite, cobalt, terres rares. Près de 750 millions de dollars d’investissements directs étrangers (IDE) sont actuellement gelés ou menacés. Le secteur du tourisme, qui reprenait après la pandémie, est à nouveau à l’arrêt. L’agriculture d’exportation (vanille, litchis), principale source de devises, subit également les perturbations. Une jeunesse en éveil, un pouvoir en déclin Le président français Emmanuel Macron a tenu à saluer le rôle des jeunes dans cette crise : « Une jeunesse politisée, qui veut vivre mieux, c’est une très bonne chose ». Mais il met en garde contre toute récupération par des « factions militaires » ou des « ingérences étrangères ». En écho, le collectif Gen Z, qui organise des rassemblements pacifiques Place du 13 mai, annonce une « concertation nationale » dans les prochains jours. Un point de bascule pour la région La crise malgache dépasse largement le cadre national. Elle interroge la résilience des États insulaires face aux chocs internes et externes : pénuries, corruption, tensions militaires, jeunesse mobilisée. Elle questionne aussi la capacité des institutions africaines à prévenir les dérives autoritaires ou les coups d’État rampants. Entre silence stratégique et diplomatie de crise L’exfiltration non confirmée d’Andry Rajoelina pourrait marquer la fin d’un cycle politique ouvert en 2009. La France, traditionnellement influente à Madagascar, semble jouer la carte de la prudence, tandis que l’UA tente de reprendre la main. La fenêtre pour une désescalade existe, mais elle se referme rapidement. « Le pire n’est jamais certain, mais il devient probable quand le silence devient stratégie », glisse un diplomate européen.