Tchad : l’arrestation du fils présumé du fondateur de Boko Haram, entre défi sécuritaire et recomposition régionale
Une opération antiterroriste relance les enjeux de coopération régionale, de stabilité économique et de leadership stratégique en Afrique centrale. L’interpellation à l’ouest du Tchad de six individus suspectés d’activités terroristes, dont l’un serait Muslim Mohammed Yusuf – fils cadet du fondateur de Boko Haram – , marque un tournant potentiel dans la lutte contre les groupes djihadistes sahéliens. Si l’identité du jeune homme, arrêté sous un faux nom, reste à confirmer, la symbolique de cette opération alimente autant les dynamiques sécuritaires que diplomatiques. Sur le plan sécuritaire, cette arrestation intervient dans une zone sensible, théâtre d’activités transfrontalières de l’ISWAP, branche dissidente de Boko Haram ralliée à l’État islamique. La porosité des frontières dans le bassin du lac Tchad rend la coordination militaire cruciale. Le Tchad, fort d’un appareil sécuritaire aguerri et appuyé par des partenaires internationaux, cherche à réaffirmer son rôle de pivot dans la lutte contre l’extrémisme violent. Cette opération pourrait renforcer la coopération avec ses voisins immédiats (Nigéria, Cameroun, Niger) via le cadre de la Force multinationale mixte (FMM). Mais au-delà de la sécurité immédiate, l’enjeu est aussi géopolitique : une telle arrestation, si elle se confirme, repositionne N’Djamena comme interlocuteur clé dans les discussions régionales sur la paix et la stabilité. Dans une Afrique centrale marquée par l’instabilité politique (Soudan, RCA, RDC) et des rivalités d’influence (Russie, Chine, France), la maîtrise de la menace djihadiste devient un levier diplomatique. Sur le plan géoéconomique, la persistance de foyers terroristes freine l’exploitation des ressources (pétrole, agriculture, infrastructures logistiques régionales). Le contrôle sécuritaire est donc étroitement lié aux perspectives de développement et d’intégration économique sous-régionale. Les attaques récurrentes dans le lac Tchad affectent les corridors commerciaux et les flux d’investissement, notamment dans les zones rurales enclavées, alimentant pauvreté et radicalisation. Enfin, l’absence d’identité formellement établie des suspects renforce la nécessité d’un volet d’intelligence économique et judiciaire, avec une meilleure coordination du renseignement, du suivi migratoire et des bases de données criminelles régionales. L’arrestation annoncée ne saurait être réduite à un simple fait divers sécuritaire. Elle cristallise les tensions entre menace persistante, ambitions diplomatiques et impératif de développement durable dans un espace régional toujours en quête de stabilité. Le Tchad, en quête de légitimité interne et d’influence externe, pourrait en tirer des dividendes stratégiques, à condition d’ancrer cette opération dans une approche multidimensionnelle et concertée.