Politique & Gouvernance

Paul Biya s’envole pour l’Europe : retraite stratégique ou manœuvre d’équilibriste avant le scrutin du 12 octobre ?

À moins de trois semaines d’un scrutin présidentiel capital au Cameroun, le président Paul Biya, 92 ans, a quitté Yaoundé le dimanche 21 septembre pour ce que le Cabinet civil qualifie sobrement de « court séjour privé en Europe ». Officiellement banal. Officieusement, cette absence soulève un faisceau de questions géopolitiques, économiques et institutionnelles, à l’heure où le pays aborde une phase électorale à hauts risques. « Ce type de voyage, à quelques jours d’un scrutin majeur, est tout sauf anodin », confie un diplomate européen. « Cela peut aussi indiquer une volonté de contrôler les agendas hors des regards camerounais ». Une délégation verrouillée, un agenda discret Accompagné de son épouse Chantal Biya, le président a voyagé avec une délégation resserrée, à haute valeur symbolique : Samuel Mvondo Ayolo, Directeur du Cabinet Civil ; Vice-Amiral Joseph Fouda, Conseiller spécial à la Présidence ; Simon Pierre Bikele, Chef du Protocole d’État. Aucune indication n’a été donnée sur la destination exacte, ni sur la durée réelle du séjour. L’ambiguïté du format « privé » ouvre la voie à toutes les hypothèses : contrôle diplomatique discret, consultations médicales, ou encore sécurisation de soutiens internationaux. Contexte politique : tensions, crispations et incertitudes L’élection présidentielle du 12 octobre 2025, à laquelle Paul Biya est candidat pour un 8e mandat, s’annonce sous tension : Une opposition fracturée mais active, dénonçant un processus verrouillé ; Une crise anglophone persistante, mais en basse intensité; Des spéculations récurrentes sur l’état de santé du président. Une absence au timing stratégique Ce départ du territoire, à la veille d’un scrutin sensible, envoie plusieurs signaux : 1. Stature présidentielle à l’international :Rencontrer des partenaires étrangers ou des investisseurs dans un cadre non-public pourrait conforter une image de chef d’État toujours central, légitime, et opérationnel. Le président chercherait ainsi à montrer qu’il reste un interlocuteur crédible, malgré son âge avancé et les appels internes au renouveau. 2. Message de continuité institutionnelle :La présence de son cercle restreint dans la délégation montre que le cœur du système reste verrouillé et compact. 3. Manœuvre diplomatique silencieuse :La formulation « court séjour privé » est un outil de flexibilité politique : elle permet des ajustements discrets selon l’agenda, notamment en cas de rencontres bilatérales ou négociations sensibles (sécuritaires, économiques ou électorales). 4. Mise à distance de la pression intérieure : Hors du territoire, le président Paul Biya évite la pression directe de l’opinion, des journalistes locaux, ou des oppositions. Réactions diplomatiques & signaux internationaux Même sans déclaration officielle majeure, les chancelleries occidentales suivent ce déplacement avec attention : 1. France : Paris, puissance traditionnelle en zone CFA, suit « avec intérêt » l’évolution de la situation. Des sources diplomatiques indiquent que le Quai d’Orsay attend des clarifications sur l’agenda présidentiel, la santé du chef de l’État et la tenue effective d’un scrutin crédible. 2. Union européenne : Bruxelles a appelé Yaoundé à garantir « des élections libres, transparentes, et inclusives », avec accès des médias et observation internationale. La suite du séjour présidentiel pourrait conditionner l’attitude de l’UE en matière d’aide et de coopération post-électorale. 3. ONG internationales : Human Rights Watch et Freedom House dénoncent les restrictions à la presse, la répression dans les régions anglophones et les détentions arbitraires. Une dénonciation qui ne reflète pas toujours la réalité sur le terrain. A ce jour, aucune partie, aucune région du Cameroun n’est en ébullition. 4. Diasporas et oppositions camerounaises : Certaines, surtout très minoritaires, critiques, réclament des explications publiques sur la finalité réelle de ce déplacement et interpellent la communauté internationale. 5. Chine, Turquie, Émirats : Acteurs économiques majeurs au Cameroun, ces puissances non-occidentales pourraient voir dans cette visite une opportunité de renforcer leur présence. Enjeux sécuritaires, économiques et géopolitiques 1. Sécurité intérieure :Une sécurité intérieure renforcée, entre les mains du ministre de l’Administration territoriale, Paul Atanga Ji, combinée à la coordination sécuritaire, – ministère de la Défense, DGSN -, dans les zones sensibles (Nord, Extrême-Nord, régions anglophones), où l’armée mène des opérations contre Boko Haram et les milices séparatistes. 2. Économie sous tension : Les marchés et bailleurs de fonds internationaux suivent l’évolution politique avec prudence. En cas d’absence prolongée ou de tensions électorales, la prime de risque souveraine du Cameroun pourrait augmenter, et certains investisseurs suspendre leurs engagements. Géopolitique régionale Le Cameroun reste un pivot stratégique en Afrique centrale, entre instabilité en Centrafrique, fragilité au Tchad et tensions dans le golfe de Guinée. Les partenaires internationaux veillent à la stabilité de Yaoundé pour éviter une contagion régionale. Risques et incertitudes 1. Rumeurs de vacance du pouvoir : Une absence mal gérée pourrait amplifier les doutes sur la capacité de Paul Biya à gouverner, voire à mener une campagne électorale active. 2. Tensions internes au sein du régime : En cas de flottement, des rivalités pourraient émerger entre les barons du pouvoir, notamment dans l’armée et le gouvernement. 3. Recul diplomatique : Un mutisme prolongé ou une mauvaise communication avec les alliés occidentaux pourrait fragiliser les appuis traditionnels du régime. Le « court séjour privé » de Paul Biya en Europe, à trois semaines d’un scrutin crucial, n’est ni neutre ni sans portée stratégique. Derrière la prudence sémantique, se dessinent des calculs de légitimité, des manœuvres diplomatiques discrètes, et des messages adressés tant aux partenaires étrangers qu’aux acteurs internes. Si le Cameroun entre dans une zone de fébrilité, cette fébrilité reste bien contrôlée et surveillée, et « contenable ».

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Édéa : Carrefour industriel du Cameroun entre héritage colonial et ambitions modernes

Située au cœur du triangle stratégique Kribi–Édéa–Douala, la ville d’Édéa, dans la région du Littoral, est bien plus qu’un simple nœud logistique. Elle est le témoin silencieux de plus d’un siècle de transformations industrielles, politiques et sociales qui ont marqué l’histoire du Cameroun moderne. Un passé colonial fondateur Initialement peuplée par les peuples Bakoko et Bassa, Édéa tire son nom du mot « E’dea (Adiè) », signifiant « terre des ancêtres ». C’est au tournant du XXe siècle que la ville entre pleinement dans l’histoire coloniale. Sous le protectorat allemand (1884-1916), Édéa devient un point stratégique d’accès vers l’arrière-pays camerounais. Les colons allemands y bâtissent des infrastructures clés, dont le célèbre pont de la Sanaga, encore appelé « pont allemand » , construit en 1911. Ce pont métallique en arc à tablier suspendu est l’un des symboles de l’ingénierie allemande en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest, assurant à la fois la circulation routière et ferroviaire, jusqu’au début des années 1980. Pont allemand « lancé » en 1911 à Edéa Si les archives ne permettent pas de confirmer avec certitude le nom du tout premier Allemand à s’installer à Édéa, il est établi que la ville a servi de base aux premières missions techniques et administratives du pouvoir colonial allemand dans la région. Le site exact d’implantation des premiers colons est localisé autour de l’actuel quartier Koukouè, aujourd’hui zone industrielle émergente. Le barrage d’Édéa : colonne vertébrale énergétique du pays L’un des plus grands tournants industriels de la ville a lieu avec la construction du barrage hydroélectrique d’Édéa sur le fleuve Sanaga, mis en service en 1954. Construit pour fournir l’énergie nécessaire à l’usine d’aluminium Alucam, ce barrage est vite devenu un pilier de la politique énergétique nationale. Il fournit aujourd’hui encore une part significative de l’électricité utilisée non seulement dans l’industrie, mais aussi dans les ménages à travers le pays. Le complexe hydroélectrique comprend également une centrale électrique d’une puissance initiale de 264 MW, qui a été progressivement modernisée. Ce projet, l’un des plus ambitieux de l’époque coloniale tardive, a permis à Édéa d’être parmi les premières villes d’Afrique centrale à bénéficier d’une électrification à grande échelle. Edéa, berceau de l’industrialisation Dans la même dynamique, l’État camerounais crée en 1976 la Cellulose du Cameroun (Cellucam), usine géante de pâte à papier, officiellement inaugurée le 18 mars 1981 par le président Ahmadou Ahidjo. Avec près de 2 000 emplois directs et plus de 5 000 emplois indirects, Cellucam devient un pilier de l’économie locale. Cependant, des pannes techniques, un incendie majeur en 1982 et une mauvaise gestion précipitent sa faillite. Aujourd’hui, l’État ambitionne de relancer le site via une technopole forêt-bois, portée par la SCIEB, pour transformer la région en hub industriel du bois. Une ville en mutation : entre héritage et modernisation Plus d’un siècle après l’arrivée des Allemands, Édéa continue de se réinventer. L’inauguration de la cimenterie Central Africa Cement (CAC), le 19 septembre 2025, financée à hauteur de 12 milliards FCFA, marque une nouvelle ère industrielle. L’unité produira 1 million de tonnes de ciment par an, exploitant les gisements locaux de calcaire et de pouzzolane, réduisant ainsi la dépendance aux importations. Cette initiative s’inscrit dans la politique nationale d’import-substitution, alignée sur la Vision 2035 du Cameroun, et devrait générer plus de 120 emplois directs et plusieurs centaines d’emplois indirects. Elle relance également le plaidoyer des autorités locales, qui réclament la création d’une zone franche industrielle, la réhabilitation du réseau routier, l’accès à l’eau potable, à l’électricité, et la relance du projet de port sec à Mbegne. Une centralité géopolitique et économique régionale Située à la croisée des grandes infrastructures nationales – rail, route, fleuve, énergie – Édéa est aujourd’hui appelée à devenir un hub industriel et logistique majeur de la sous-région. Avec la montée en puissance de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF), la ville peut capitaliser sur sa position géographique pour devenir un centre de compétitivité régionale, à condition d’investir durablement dans ses infrastructures et dans le respect des normes sociales et environnementales. En résumé

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Bassa Power /l’Assiko vs Makouné : la bataille culturelle de deux danses sur la scène internationale

Assiko Deux danses, une identité : le peuple Bassa du Cameroun voit ses traditions convoitées, projetant l’Assiko et le Makouné dans une rivalité douce au cœur de la diplomatie culturelle africaine. Makounè Au croisement de la musique, du patrimoine immatériel et de la diplomatie culturelle, deux danses emblématiques du peuple Bassa-Mpoo-Bati, l’Assiko et le Makouné, s’imposent comme de puissants vecteurs d’influence africaine sur la scène mondiale. Tandis que l’une séduit les grandes scènes francophones, l’autre fait son chemin dans les universités afrodescendantes et les festivals panafricains. Assiko, Makouné : Deux danses, deux âmes du peuple bassa L’Assiko, popularisée par le mythique Jean Bikoko Aladin dans les années 1950, est une danse de résistance et d’élégance. Pieds nus, pagne serré, le danseur affronte la gravité en cadence, souvent au son de la guitare sèche et d’un rythme syncopé frappé sur une lame de fer et une bouteille. Elle est devenue un emblème de la culture Bassa dans les diasporas. Le Makouné, plus ancien et ritualisé, s’enracine dans les cérémonies communautaires et la danse collective.   Portée par des percussions plus graves et des pas circulaires évoquant la terre, la spiritualité et la cohésion du clan, cette danse connaît un regain d’intérêt dans les centres culturels notamment de Douala et Kribi. « Le Makouné est l’ADN rituel, l’Assiko est l’expression sociale. Ce sont les deux faces d’un peuple resté debout malgré l’histoire coloniale », analyse Pr. Armand N. Nkou, anthropologue à l’Université de Yaoundé I. Assiko, Makouné : Une rivalité à l’export, enjeu de soft power culturel Depuis 2022, l’Assiko a été inscrit dans plusieurs festivals européens (Paris, Marseille, Genève, Bruxelles, Berlin Madrid, Montréal), avec des troupes bassa en résidence artistique. En 2024, il a généré plus de 800 000 € de retombées culturelles indirectes, selon le Ministère camerounais des Arts et de la Culture. Le Makouné, quant à lui, a été intégré dans plusieurs programmes universitaires afrodescendants aux États-Unis et en Afrique du Sud, notamment à l’université Howard et à Cape Town. Des chorégraphes y voient une matrice originelle comparable au Mapouka ivoirien, au Kizomba angolais ou aux danses bantoues du Kasaï. « Ce qui se joue, c’est la bataille symbolique pour inscrire un héritage dans la conscience africaine globale », explique Grace Obado, chercheuse en diplomatie culturelle à Nairobi. Géopolitique du patrimoine : vers une reconnaissance à l’UNESCO ? Le Cameroun envisage de proposer l’Assiko à l’inscription sur la liste du patrimoine immatériel de l’UNESCO en 2026, un projet porté par des acteurs comme l’Institut National des Arts du Cameroun (INAC) et l’Association Bassa en Mouvement. Mais certains intellectuels plaident pour une reconnaissance conjointe. C’est le cas de Nicole Ebanda, historienne de l’art : « Le Makouné et l’Assiko sont les jambes d’un même corps. Les dissocier, c’est affaiblir la narration culturelle de l’Afrique centrale ». Vers une politique culturelle régionale ? Avec plus de 2,5 millions de Bassa au Cameroun, et une diaspora en France, aux États-Unis en Allemagne, au Canada et au Gabon, la valorisation de ces danses dépasse le simple folklore. Elle touche à la diplomatie culturelle, à la mémoire postcoloniale et à l’intelligence économique du patrimoine. Pour Cheikh Tidiane Gadio, ancien ministre des Affaires étrangères du Sénégal, « l’Afrique ne doit pas se contenter de danser. Elle doit savoir pourquoi elle danse, et comment danser peut devenir un levier économique, identitaire et géopolitique ». Noël Ndong

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Révolution industrielle à Edéa : Une cimenterie chinoise au cœur du triangle Kribi-Edéa-Douala

Le 19 septembre 2025, à Koukouè, la ville industrielle d’Édéa a accueilli l’inauguration officielle de la cimenterie Central Africa Cement (CAC), fruit d’un partenariat sino-camerounais. Dotée d’une capacité annuelle d’un million de tonnes, cette nouvelle infrastructure ambitionne de faire du Cameroun un acteur plus autonome dans le secteur du ciment, dans le cadre de la stratégie nationale d’import-substitution. Valorisant les ressources locales telles que la pouzzolane et le calcaire, CAC entend réduire la dépendance au clinker importé, principal facteur de la flambée des prix du ciment. Selon les données du ministère du Commerce, le sac de 50 kg oscillait entre 4 300 et 5 300 FCFA en 2024. L’arrivée de cette usine devrait ainsi contribuer à une meilleure accessibilité du ciment pour les projets de construction publics et privés. Mais si le projet promet de créer 121 emplois directs et plus de 100 emplois indirects, le climat social est déjà tendu. Plusieurs employés ont profité de la présence des autorités pour dénoncer des conditions de travail précaires : absence de contrats, travail sans jour de repos, équipements de sécurité insuffisants. Une situation qui soulève des inquiétudes sur le respect du Code du travail camerounais, dans un contexte où les investissements étrangers sont pourtant fortement encouragés. « Cette usine est un levier de notre industrialisation souveraine », a déclaré le ministre des Mines par intérim, Pr Fuh Calistus Gentry, lors de la cérémonie. Sur le plan régional, l’usine s’inscrit dans une dynamique de montée en puissance industrielle du triangle Kribi–Édéa–Douala, avec un objectif national de production de 12,5 millions de tonnes de ciment/an en 2025. Elle devra cependant faire face à une concurrence féroce : Dangote, Cimaf, Cimpor ou encore Medcem sont déjà bien installés sur le marché. En toile de fond, ce projet renforce l’ancrage stratégique de la Chine en Afrique centrale, tout en posant les enjeux liés à la responsabilité sociale, à la durabilité environnementale, et à l’intelligence économique dans un secteur clé pour l’émergence du Cameroun à l’horizon 2035. Un objectif atteignable. En chiffres :

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Fer & Influence : le Cameroun déploie sa puissance minière à Kribi

Le Cameroun franchit une nouvelle étape dans sa stratégie de valorisation minière avec l’inauguration de la mine de fer de Grand-Zambi et la pose de la première pierre du terminal minéralier de Sinosteel à Kribi. Cette double cérémonie, présidée par le Premier ministre, Joseph Dion Ngute le 22 septembre, s’inscrit dans une vision nationale d’industrialisation, d’intégration logistique régionale, et d’attraction des investissements stratégiques. Kribi, port en eaux profondes et hub émergent du Golfe de Guinée, devient ainsi un levier géoéconomique central pour l’Afrique centrale. Joseph Dion Ngute, Premier ministre Une journée charnière pour l’industrie extractive camerounaise Le gouvernement camerounais donne un coup d’accélérateur à son ambition de devenir une puissance minière régionale. Le 22 septembre 2025, Kribi accueille deux événements majeurs : l’inauguration de la mine de fer de Grand-Zambi, projet structurant porté par l’État et des partenaires chinois, et le lancement officiel des travaux du terminal minéralier de Sinosteel, destiné à transformer le port de Kribi en plaque tournante des exportations minières. « C’est un tournant. Nous ne voulons plus être de simples pourvoyeurs de matières premières. Nous voulons intégrer la chaîne de valeur », a déclaré un haut responsable du Ministère des Mines sous couvert d’anonymat. Kribi : du comptoir colonial à la porte industrielle du Golfe de Guinée Kribi n’est pas une terre inconnue des stratèges. Ce port, jadis comptoir allemand à la fin du XIXe siècle, a toujours été au cœur des ambitions logistiques du Cameroun. Sa profondeur naturelle en fait l’un des rares ports en eaux profondes d’Afrique centrale, capable d’accueillir des navires de plus de 100 000 tonnes. À seulement 150 km de Douala, 100 km d’Edéa et moins de 300 km de Yaoundé, Kribi est idéalement positionnée pour désenclaver les ressources minières du Sud et de l’Est, tout en servant de point de transit pour le Tchad et la Centrafrique. Kribi, hub régional-Afrique centrale Un projet d’envergure à forte dimension géopolitique Le partenariat avec Sinosteel, géant chinois de la sidérurgie, renforce la présence stratégique de la Chine dans les infrastructures camerounaises. L’entreprise a prévu une première phase d’investissement estimée à 270 millions $, avec une montée en puissance progressive jusqu’à l’exportation annuelle de 10 millions de tonnes de fer brut. Ce terminal minéralier s’intègre dans l’Initiative “Belt and Road” (BRI), renforçant l’ancrage sino-africain dans les corridors miniers du continent. « Ce terminal va repositionner Kribi comme point nodal des chaînes logistiques africaines. C’est une infrastructure d’influence », analyse le politologue Pascal Ndjounou, chercheur associé à l’IFRI à Paris. Sécurité, emploi et intelligence économique L’État camerounais promet une vigilance renforcée autour de la sécurisation de la zone minière et portuaire, intégrée au plan national de sécurisation des infrastructures stratégiques. Selon les autorités, plus de 3 000 emplois directs et indirects seront générés durant la phase de construction, et 800 emplois permanents sont prévus à l’exploitation. Mais la vigilance reste de mise : cybersécurité industrielle, protection des données stratégiques, contrôle des flux d’informations techniques et diplomatiques. Le ministère de la Défense et celui de la Sécurité ont déployé des dispositifs spéciaux dans la région. Un catalyseur pour la sous-région CEMAC L’impact de ces infrastructures dépasse les frontières camerounaises. La Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) voit en Kribi un futur hub logistique régional. Une intégration logistique Est-Ouest est déjà en cours avec la relance du corridor Kribi-Bertoua-Ngaoundéré jusqu’au Tchad. « Kribi est en train de devenir ce que Djibouti est pour l’Afrique de l’Est », résume un diplomate européen. Prochaine étape Le gouvernement entend inscrire ces projets dans le Plan directeur national des zones économiques spéciales (ZES) et initier des formations locales pour combler le gap en main-d’œuvre qualifiée. Les partenaires occidentaux observent prudemment cette accélération sino-camerounaise, y voyant à la fois une opportunité d’investissement et une bataille d’influence sur le long terme.

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Alucam redémarre : un nouveau souffle pour Edéa et l’industrie camerounaise

Après des mois d’agonie financière, l’usine d’Aluminium d’Edéa, cœur industriel du pays, reprend vie. Grâce à un nouveau partenariat privé, l’entreprise publique Alucam entame une relance majeure, redonnant espoir aux populations locales et à toute une région qui vit au rythme de l’aluminium depuis des décennies. Une usine qui redémarre enfin Fondée en 1957, Alucam a longtemps fait la fierté du Cameroun. Mais depuis le départ de Rio Tinto en 2014, dettes, sous-investissements et chute de production ont plongé l’usine dans une crise profonde. En 2024, elle ne tournait qu’à 30 % de sa capacité. Aujourd’hui, l’État ouvre ses portes à un partenaire industriel étranger, prêt à investir plus de 150 millions d’euros (environ 100 milliards de FCFA) sur 5 ans pour moderniser les installations, relancer la production, et créer des emplois durables. « Ce n’est pas juste un sauvetage, c’est une renaissance », se réjouit un agent technique de l’usine. Des emplois pour Edéa, un avenir pour les jeunes Le plan prévoit plus de 2 000 emplois directs et indirects dans la région. Une nouvelle qui tombe à pic dans une ville marquée par le chômage et la précarité. Les activités vont s’étendre : production d’aluminium, maintenance, logistique, formation… « On veut que nos enfants travaillent ici, qu’ils restent à Edéa et qu’ils aient un avenir », confie une commerçante. Un projet national aux ambitions régionales Cette relance va réduire les importations coûteuses, relancer les exportations régionales, et mieux valoriser les ressources locales comme l’énergie hydroélectrique et la bauxite. À moyen terme, Alucam pourrait devenir un acteur clé en Afrique centrale. « Le Cameroun retrouve un outil stratégique, grâce à un partenariat équilibré, loin de l’exploitation brutale des ressources », analyse un économiste à Yaoundé. Stratégie et intelligence économique L’opération témoigne d’une montée en puissance des logiques d’intelligence économique dans les cercles décisionnels camerounais, face à la compétition chinoise et aux visées russes croissantes sur les matières premières africaines. « Ce n’est pas une simple recapitalisation, c’est une reconquête industrielle », analyse un consultant en géoéconomie basé à Paris.

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Pont de Bongor : l’Afrique centrale relie ses fractures

À la frontière entre le Cameroun et le Tchad, sur le fleuve Logone, le pont de Bongor est plus qu’une infrastructure. Long de 620 mètres, construit avec l’appui financier de la Banque africaine de développement (BAD) et de la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (BADEA), il incarne une volonté politique commune : fluidifier les échanges, renforcer la coopération et sécuriser un corridor vital. « Ce pont est un trait d’union entre nos peuples, mais aussi un levier stratégique pour le commerce régional », a déclaré Dr. Tahir Hamid Nguilin, ministre tchadien de l’Économie, lors de la cérémonie inaugurale. Une réponse aux déficits logistiques et à l’enclavement Le pont de Bongor relie directement les villes de Yagoua (Cameroun) et Bongor (Tchad), dans une zone où les échanges étaient jusqu’ici entravés par l’absence de passage permanent. Le projet s’inscrit dans le Programme de facilitation des transports sur le corridor Douala-Ndjamena, axe majeur pour les importations tchadiennes. Plus de 35 % des marchandises tchadiennes transitent encore par le port de Douala. Avec cet ouvrage, les délais logistiques devraient baisser de 40 % et le coût du transport de 25 %, selon les estimations de la Cemac. Un coup d’accélérateur pour les échanges bilatéraux, estimés à plus de 150 milliards FCFA par an, mais freinés par la vétusté des infrastructures. Plan stratégique et sécuritaire Dans un contexte de risques transfrontaliers (trafics, insécurité dans le bassin du lac Tchad, tensions intercommunautaires), le pont de Bongor offre également un outil de gouvernance sécuritaire partagée. Il permet un meilleur contrôle des flux, tout en soutenant la mobilité encadrée des populations. « Le développement est aussi une réponse à l’insécurité », rappelle un diplomate de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC). Vers une intégration physique et politique Ce projet incarne la nouvelle diplomatie des infrastructures en Afrique centrale. Il renforce les objectifs de la ZLECAf, tout en consolidant une coopération bilatérale parfois éprouvée. Pour Yaoundé et N’Djamena, le pont de Bongor est une passerelle vers plus de résilience, de commerce… et de stabilité.

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New York mise sur le Golfe de Guinée : 800 milliards de raisons d’y croire

Sécurité maritime, investissements verts, infrastructures régionales : le Golfe de Guinée est au centre d’un ambitieux agenda international. Réunis à New York, dirigeants, diplomates et investisseurs entendent lever les freins à une zone à fort potentiel mais encore sous-exploitée. 800 milliards de dollars. C’est le montant estimé des opportunités économiques que recèle le Golfe de Guinée, selon une étude conjointe de l’Union africaine et de la CEA (Commission économique pour l’Afrique). De Lagos à Libreville, la façade maritime ouest-africaine concentre un potentiel stratégique majeur : ressources halieutiques, hydrocarbures offshore, corridors logistiques, hubs portuaires, énergies renouvelables, et zones économiques spéciales. Mais pour transformer ce potentiel en réalité, il faut lever trois verrous : l’insécurité maritime, le déficit d’infrastructures, et l’absence de coordination régionale. Diplomatie économique et sécurité au menu Organisée en marge de la session de l’Assemblée générale de l’ONU, la table ronde de New York réunit les ministres du Commerce et des Transports de 11 pays côtiers, aux côtés de bailleurs, banques multilatérales (BAD, Banque mondiale) et opérateurs logistiques internationaux. « Le Golfe de Guinée peut devenir un moteur de la transformation économique africaine, à condition de sécuriser ses routes et de planifier ensemble ses investissements », a déclaré Moussa Faki Mahamat, président de la Commission de l’Union africaine. Sécurité maritime : un enjeu stratégique mondial Longtemps considéré comme l’épicentre mondial de la piraterie maritime, le Golfe de Guinée a vu une baisse de 60 % des actes de piraterie entre 2021 et 2024, grâce à des initiatives conjointes (Code de Yaoundé, coopération navale régionale). Mais les menaces persistent : trafics, pêche illégale, et flux migratoires irréguliers. Les États-Unis, la France, la Chine et l’Union européenne ont réaffirmé leur soutien à la sécurisation de la zone, en promouvant des capacités navales locales et des investissements dans le renseignement maritime. Infrastructure, climat et logistique : les priorités Outre la sécurité, les discussions portent sur le financement de corridors multimodaux (routes, rails, ports) ; l’accélération des investissements dans les énergies marines et solaires ; la mise en réseau des zones portuaires et logistiques régionales. Un fonds régional de 5 milliards dollars est en discussion, porté par la BAD et un pool de partenaires privés. Alors que l’Afrique cherche à consolider sa souveraineté économique et commerciale, le Golfe de Guinée pourrait devenir une véritable colonne vertébrale maritime du continent. À condition de jouer collectif et stratégique.

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Chine‑Afrique : un musée africain en Chine pour raconter nos histoires

La Chine s’apprête à inaugurer son premier musée entièrement dédié à l’Afrique, centré sur l’histoire, l’art, les civilisations africaines, et conçu comme un lieu d’échange éducatif entre peuples. Annoncée par Ye Hailin, directeur de l’Institut Chine‑Afrique, cette initiative entend non seulement montrer des artefacts, des œuvres, des récits, mais également renforcer les liens entre artistes, universitaires, communautés africaines et chinoises. Pourquoi cela importe pour l’Afrique Pour beaucoup d’Africains, ce musée est plus qu’un simple lieu d’exposition : c’est un symbole. Un symbole de reconnaissance, après des décennies où nos histoires ont souvent été racontées par d’autres. Aujourd’hui, c’est une invitation à dialoguer, à montrer la richesse culturelle du continent – de Tombouctou à Lalibela, des arts contemporains de Lagos aux danses traditionnelles du Cameroun – dans un espace international. Cette démarche s’inscrit dans une stratégie plus large : la création de cinq centres de recherche Chine‑Afrique, qui permettront d’approfondir les études sur notre patrimoine culturel, les arts, les langues, la diaspora. C’est une occasion de valoriser nos savoirs, d’encourager les échanges interculturels et de repenser ce que signifie être Africain dans le monde globalisé. Enjeux stratégiques et culturels Ce à quoi il faut veiller C’est l’Afrique qui raconte l’Afrique : c’est là que repose la force de ce projet. Pour les jeunes, les artistes, les communautés, ce musée peut être un miroir, une fenêtre, et un pont.

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Intégration : le réveil du lac Tchad, pari du Cameroun

Longtemps symbole du désastre climatique africain, le lac Tchad surprend aujourd’hui par son renouveau. Sa remontée spectaculaire ouvre une brèche stratégique pour le Cameroun, entre redéploiement territorial, sécurité régionale et diplomatie hydrique. Après des décennies de recul alarmant – plus de 90 % de perte de surface depuis les années 1960, le lac Tchad connaît depuis trois ans une expansion inattendue, portée par une pluviométrie accrue, selon les climatologues de la CBLT. Ce retournement, qui redessine les équilibres du bassin sahélien, suscite autant d’espoirs que de défis pour les populations riveraines, et pour les États concernés. Du côté camerounais, cette résurgence offre une fenêtre de transformation pour l’Extrême-Nord, région marginalisée et longtemps en proie à l’insécurité. « Ce qui était un désastre devient peut-être notre plus grande chance », commente un haut fonctionnaire à Maroua. Reconversion agricole et innovation territoriale Les terres agricoles inondées autour de Makari, Blangoua ou Hile Alifa rappellent la fragilité des équilibres humains face au climat. Pourtant, l’État camerounais, en coordination avec la CBLT et plusieurs bailleurs, explore la voie des polders, ces digues agricoles inspirées du modèle néerlandais. Objectif : reconquérir les terres fertiles englouties et relancer une agriculture irriguée, adaptée aux nouvelles dynamiques hydrologiques. Renaissance de la pêche, enjeu économique et social Le retour des eaux a également revitalisé les stocks halieutiques, après des années de pénurie. Mais la nouvelle configuration du lac bouleverse les pratiques traditionnelles. Zones de pêche redessinées, navigation risquée, perte de repères : les pêcheurs doivent se réinventer. Un programme d’accompagnement technique, financé par la FAO, est en préparation pour structurer une filière pêche durable et résiliente. Un enjeu sécuritaire majeur pour le Cameroun Au-delà de l’économie, la stabilisation du bassin est un impératif sécuritaire. La présence de Boko Haram dans les zones lacustres reste une menace. Or, relancer l’économie locale, réinstaller les déplacés et reconstruire les services de base constitue la meilleure réponse face à l’extrémisme violent. La montée du lac est donc aussi une opportunité de rétablir l’autorité de l’État dans une zone longtemps hors de contrôle. Diplomatie de l’eau : le Cameroun repositionné En tant que membre actif de la Commission du bassin du lac Tchad, le Cameroun a une carte à jouer dans la gouvernance hydrique régionale. Des projets d’envergure, comme le transfert d’eau depuis l’Oubangui ou la valorisation des écosystèmes lacustres, pourraient faire de Yaoundé un acteur-clé de la diplomatie climatique sahélienne.  « Ce n’est pas seulement un lac qui revient, c’est toute une géographie politique et économique qui est à redessiner », souligne un expert du Centre africain pour les politiques climatiques. Le retour du lac Tchad n’est pas une fin en soi. Pour le Cameroun, il s’agit désormais de transformer une anomalie climatique en projet stratégique de développement, de sécurité et de souveraineté territoriale durable.

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