21 septembre 2025

Paul Biya s’envole pour l’Europe : retraite stratégique ou manœuvre d’équilibriste avant le scrutin du 12 octobre ?

À moins de trois semaines d’un scrutin présidentiel capital au Cameroun, le président Paul Biya, 92 ans, a quitté Yaoundé le dimanche 21 septembre pour ce que le Cabinet civil qualifie sobrement de « court séjour privé en Europe ». Officiellement banal. Officieusement, cette absence soulève un faisceau de questions géopolitiques, économiques et institutionnelles, à l’heure où le pays aborde une phase électorale à hauts risques. « Ce type de voyage, à quelques jours d’un scrutin majeur, est tout sauf anodin », confie un diplomate européen. « Cela peut aussi indiquer une volonté de contrôler les agendas hors des regards camerounais ». Une délégation verrouillée, un agenda discret Accompagné de son épouse Chantal Biya, le président a voyagé avec une délégation resserrée, à haute valeur symbolique : Samuel Mvondo Ayolo, Directeur du Cabinet Civil ; Vice-Amiral Joseph Fouda, Conseiller spécial à la Présidence ; Simon Pierre Bikele, Chef du Protocole d’État. Aucune indication n’a été donnée sur la destination exacte, ni sur la durée réelle du séjour. L’ambiguïté du format « privé » ouvre la voie à toutes les hypothèses : contrôle diplomatique discret, consultations médicales, ou encore sécurisation de soutiens internationaux. Contexte politique : tensions, crispations et incertitudes L’élection présidentielle du 12 octobre 2025, à laquelle Paul Biya est candidat pour un 8e mandat, s’annonce sous tension : Une opposition fracturée mais active, dénonçant un processus verrouillé ; Une crise anglophone persistante, mais en basse intensité; Des spéculations récurrentes sur l’état de santé du président. Une absence au timing stratégique Ce départ du territoire, à la veille d’un scrutin sensible, envoie plusieurs signaux : 1. Stature présidentielle à l’international :Rencontrer des partenaires étrangers ou des investisseurs dans un cadre non-public pourrait conforter une image de chef d’État toujours central, légitime, et opérationnel. Le président chercherait ainsi à montrer qu’il reste un interlocuteur crédible, malgré son âge avancé et les appels internes au renouveau. 2. Message de continuité institutionnelle :La présence de son cercle restreint dans la délégation montre que le cœur du système reste verrouillé et compact. 3. Manœuvre diplomatique silencieuse :La formulation « court séjour privé » est un outil de flexibilité politique : elle permet des ajustements discrets selon l’agenda, notamment en cas de rencontres bilatérales ou négociations sensibles (sécuritaires, économiques ou électorales). 4. Mise à distance de la pression intérieure : Hors du territoire, le président Paul Biya évite la pression directe de l’opinion, des journalistes locaux, ou des oppositions. Réactions diplomatiques & signaux internationaux Même sans déclaration officielle majeure, les chancelleries occidentales suivent ce déplacement avec attention : 1. France : Paris, puissance traditionnelle en zone CFA, suit « avec intérêt » l’évolution de la situation. Des sources diplomatiques indiquent que le Quai d’Orsay attend des clarifications sur l’agenda présidentiel, la santé du chef de l’État et la tenue effective d’un scrutin crédible. 2. Union européenne : Bruxelles a appelé Yaoundé à garantir « des élections libres, transparentes, et inclusives », avec accès des médias et observation internationale. La suite du séjour présidentiel pourrait conditionner l’attitude de l’UE en matière d’aide et de coopération post-électorale. 3. ONG internationales : Human Rights Watch et Freedom House dénoncent les restrictions à la presse, la répression dans les régions anglophones et les détentions arbitraires. Une dénonciation qui ne reflète pas toujours la réalité sur le terrain. A ce jour, aucune partie, aucune région du Cameroun n’est en ébullition. 4. Diasporas et oppositions camerounaises : Certaines, surtout très minoritaires, critiques, réclament des explications publiques sur la finalité réelle de ce déplacement et interpellent la communauté internationale. 5. Chine, Turquie, Émirats : Acteurs économiques majeurs au Cameroun, ces puissances non-occidentales pourraient voir dans cette visite une opportunité de renforcer leur présence. Enjeux sécuritaires, économiques et géopolitiques 1. Sécurité intérieure :Une sécurité intérieure renforcée, entre les mains du ministre de l’Administration territoriale, Paul Atanga Ji, combinée à la coordination sécuritaire, – ministère de la Défense, DGSN -, dans les zones sensibles (Nord, Extrême-Nord, régions anglophones), où l’armée mène des opérations contre Boko Haram et les milices séparatistes. 2. Économie sous tension : Les marchés et bailleurs de fonds internationaux suivent l’évolution politique avec prudence. En cas d’absence prolongée ou de tensions électorales, la prime de risque souveraine du Cameroun pourrait augmenter, et certains investisseurs suspendre leurs engagements. Géopolitique régionale Le Cameroun reste un pivot stratégique en Afrique centrale, entre instabilité en Centrafrique, fragilité au Tchad et tensions dans le golfe de Guinée. Les partenaires internationaux veillent à la stabilité de Yaoundé pour éviter une contagion régionale. Risques et incertitudes 1. Rumeurs de vacance du pouvoir : Une absence mal gérée pourrait amplifier les doutes sur la capacité de Paul Biya à gouverner, voire à mener une campagne électorale active. 2. Tensions internes au sein du régime : En cas de flottement, des rivalités pourraient émerger entre les barons du pouvoir, notamment dans l’armée et le gouvernement. 3. Recul diplomatique : Un mutisme prolongé ou une mauvaise communication avec les alliés occidentaux pourrait fragiliser les appuis traditionnels du régime. Le « court séjour privé » de Paul Biya en Europe, à trois semaines d’un scrutin crucial, n’est ni neutre ni sans portée stratégique. Derrière la prudence sémantique, se dessinent des calculs de légitimité, des manœuvres diplomatiques discrètes, et des messages adressés tant aux partenaires étrangers qu’aux acteurs internes. Si le Cameroun entre dans une zone de fébrilité, cette fébrilité reste bien contrôlée et surveillée, et « contenable ».

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Édéa : Carrefour industriel du Cameroun entre héritage colonial et ambitions modernes

Située au cœur du triangle stratégique Kribi–Édéa–Douala, la ville d’Édéa, dans la région du Littoral, est bien plus qu’un simple nœud logistique. Elle est le témoin silencieux de plus d’un siècle de transformations industrielles, politiques et sociales qui ont marqué l’histoire du Cameroun moderne. Un passé colonial fondateur Initialement peuplée par les peuples Bakoko et Bassa, Édéa tire son nom du mot « E’dea (Adiè) », signifiant « terre des ancêtres ». C’est au tournant du XXe siècle que la ville entre pleinement dans l’histoire coloniale. Sous le protectorat allemand (1884-1916), Édéa devient un point stratégique d’accès vers l’arrière-pays camerounais. Les colons allemands y bâtissent des infrastructures clés, dont le célèbre pont de la Sanaga, encore appelé « pont allemand » , construit en 1911. Ce pont métallique en arc à tablier suspendu est l’un des symboles de l’ingénierie allemande en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest, assurant à la fois la circulation routière et ferroviaire, jusqu’au début des années 1980. Pont allemand « lancé » en 1911 à Edéa Si les archives ne permettent pas de confirmer avec certitude le nom du tout premier Allemand à s’installer à Édéa, il est établi que la ville a servi de base aux premières missions techniques et administratives du pouvoir colonial allemand dans la région. Le site exact d’implantation des premiers colons est localisé autour de l’actuel quartier Koukouè, aujourd’hui zone industrielle émergente. Le barrage d’Édéa : colonne vertébrale énergétique du pays L’un des plus grands tournants industriels de la ville a lieu avec la construction du barrage hydroélectrique d’Édéa sur le fleuve Sanaga, mis en service en 1954. Construit pour fournir l’énergie nécessaire à l’usine d’aluminium Alucam, ce barrage est vite devenu un pilier de la politique énergétique nationale. Il fournit aujourd’hui encore une part significative de l’électricité utilisée non seulement dans l’industrie, mais aussi dans les ménages à travers le pays. Le complexe hydroélectrique comprend également une centrale électrique d’une puissance initiale de 264 MW, qui a été progressivement modernisée. Ce projet, l’un des plus ambitieux de l’époque coloniale tardive, a permis à Édéa d’être parmi les premières villes d’Afrique centrale à bénéficier d’une électrification à grande échelle. Edéa, berceau de l’industrialisation Dans la même dynamique, l’État camerounais crée en 1976 la Cellulose du Cameroun (Cellucam), usine géante de pâte à papier, officiellement inaugurée le 18 mars 1981 par le président Ahmadou Ahidjo. Avec près de 2 000 emplois directs et plus de 5 000 emplois indirects, Cellucam devient un pilier de l’économie locale. Cependant, des pannes techniques, un incendie majeur en 1982 et une mauvaise gestion précipitent sa faillite. Aujourd’hui, l’État ambitionne de relancer le site via une technopole forêt-bois, portée par la SCIEB, pour transformer la région en hub industriel du bois. Une ville en mutation : entre héritage et modernisation Plus d’un siècle après l’arrivée des Allemands, Édéa continue de se réinventer. L’inauguration de la cimenterie Central Africa Cement (CAC), le 19 septembre 2025, financée à hauteur de 12 milliards FCFA, marque une nouvelle ère industrielle. L’unité produira 1 million de tonnes de ciment par an, exploitant les gisements locaux de calcaire et de pouzzolane, réduisant ainsi la dépendance aux importations. Cette initiative s’inscrit dans la politique nationale d’import-substitution, alignée sur la Vision 2035 du Cameroun, et devrait générer plus de 120 emplois directs et plusieurs centaines d’emplois indirects. Elle relance également le plaidoyer des autorités locales, qui réclament la création d’une zone franche industrielle, la réhabilitation du réseau routier, l’accès à l’eau potable, à l’électricité, et la relance du projet de port sec à Mbegne. Une centralité géopolitique et économique régionale Située à la croisée des grandes infrastructures nationales – rail, route, fleuve, énergie – Édéa est aujourd’hui appelée à devenir un hub industriel et logistique majeur de la sous-région. Avec la montée en puissance de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF), la ville peut capitaliser sur sa position géographique pour devenir un centre de compétitivité régionale, à condition d’investir durablement dans ses infrastructures et dans le respect des normes sociales et environnementales. En résumé

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Bassa Power /l’Assiko vs Makouné : la bataille culturelle de deux danses sur la scène internationale

Assiko Deux danses, une identité : le peuple Bassa du Cameroun voit ses traditions convoitées, projetant l’Assiko et le Makouné dans une rivalité douce au cœur de la diplomatie culturelle africaine. Makounè Au croisement de la musique, du patrimoine immatériel et de la diplomatie culturelle, deux danses emblématiques du peuple Bassa-Mpoo-Bati, l’Assiko et le Makouné, s’imposent comme de puissants vecteurs d’influence africaine sur la scène mondiale. Tandis que l’une séduit les grandes scènes francophones, l’autre fait son chemin dans les universités afrodescendantes et les festivals panafricains. Assiko, Makouné : Deux danses, deux âmes du peuple bassa L’Assiko, popularisée par le mythique Jean Bikoko Aladin dans les années 1950, est une danse de résistance et d’élégance. Pieds nus, pagne serré, le danseur affronte la gravité en cadence, souvent au son de la guitare sèche et d’un rythme syncopé frappé sur une lame de fer et une bouteille. Elle est devenue un emblème de la culture Bassa dans les diasporas. Le Makouné, plus ancien et ritualisé, s’enracine dans les cérémonies communautaires et la danse collective.   Portée par des percussions plus graves et des pas circulaires évoquant la terre, la spiritualité et la cohésion du clan, cette danse connaît un regain d’intérêt dans les centres culturels notamment de Douala et Kribi. « Le Makouné est l’ADN rituel, l’Assiko est l’expression sociale. Ce sont les deux faces d’un peuple resté debout malgré l’histoire coloniale », analyse Pr. Armand N. Nkou, anthropologue à l’Université de Yaoundé I. Assiko, Makouné : Une rivalité à l’export, enjeu de soft power culturel Depuis 2022, l’Assiko a été inscrit dans plusieurs festivals européens (Paris, Marseille, Genève, Bruxelles, Berlin Madrid, Montréal), avec des troupes bassa en résidence artistique. En 2024, il a généré plus de 800 000 € de retombées culturelles indirectes, selon le Ministère camerounais des Arts et de la Culture. Le Makouné, quant à lui, a été intégré dans plusieurs programmes universitaires afrodescendants aux États-Unis et en Afrique du Sud, notamment à l’université Howard et à Cape Town. Des chorégraphes y voient une matrice originelle comparable au Mapouka ivoirien, au Kizomba angolais ou aux danses bantoues du Kasaï. « Ce qui se joue, c’est la bataille symbolique pour inscrire un héritage dans la conscience africaine globale », explique Grace Obado, chercheuse en diplomatie culturelle à Nairobi. Géopolitique du patrimoine : vers une reconnaissance à l’UNESCO ? Le Cameroun envisage de proposer l’Assiko à l’inscription sur la liste du patrimoine immatériel de l’UNESCO en 2026, un projet porté par des acteurs comme l’Institut National des Arts du Cameroun (INAC) et l’Association Bassa en Mouvement. Mais certains intellectuels plaident pour une reconnaissance conjointe. C’est le cas de Nicole Ebanda, historienne de l’art : « Le Makouné et l’Assiko sont les jambes d’un même corps. Les dissocier, c’est affaiblir la narration culturelle de l’Afrique centrale ». Vers une politique culturelle régionale ? Avec plus de 2,5 millions de Bassa au Cameroun, et une diaspora en France, aux États-Unis en Allemagne, au Canada et au Gabon, la valorisation de ces danses dépasse le simple folklore. Elle touche à la diplomatie culturelle, à la mémoire postcoloniale et à l’intelligence économique du patrimoine. Pour Cheikh Tidiane Gadio, ancien ministre des Affaires étrangères du Sénégal, « l’Afrique ne doit pas se contenter de danser. Elle doit savoir pourquoi elle danse, et comment danser peut devenir un levier économique, identitaire et géopolitique ». Noël Ndong

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Révolution industrielle à Edéa : Une cimenterie chinoise au cœur du triangle Kribi-Edéa-Douala

Le 19 septembre 2025, à Koukouè, la ville industrielle d’Édéa a accueilli l’inauguration officielle de la cimenterie Central Africa Cement (CAC), fruit d’un partenariat sino-camerounais. Dotée d’une capacité annuelle d’un million de tonnes, cette nouvelle infrastructure ambitionne de faire du Cameroun un acteur plus autonome dans le secteur du ciment, dans le cadre de la stratégie nationale d’import-substitution. Valorisant les ressources locales telles que la pouzzolane et le calcaire, CAC entend réduire la dépendance au clinker importé, principal facteur de la flambée des prix du ciment. Selon les données du ministère du Commerce, le sac de 50 kg oscillait entre 4 300 et 5 300 FCFA en 2024. L’arrivée de cette usine devrait ainsi contribuer à une meilleure accessibilité du ciment pour les projets de construction publics et privés. Mais si le projet promet de créer 121 emplois directs et plus de 100 emplois indirects, le climat social est déjà tendu. Plusieurs employés ont profité de la présence des autorités pour dénoncer des conditions de travail précaires : absence de contrats, travail sans jour de repos, équipements de sécurité insuffisants. Une situation qui soulève des inquiétudes sur le respect du Code du travail camerounais, dans un contexte où les investissements étrangers sont pourtant fortement encouragés. « Cette usine est un levier de notre industrialisation souveraine », a déclaré le ministre des Mines par intérim, Pr Fuh Calistus Gentry, lors de la cérémonie. Sur le plan régional, l’usine s’inscrit dans une dynamique de montée en puissance industrielle du triangle Kribi–Édéa–Douala, avec un objectif national de production de 12,5 millions de tonnes de ciment/an en 2025. Elle devra cependant faire face à une concurrence féroce : Dangote, Cimaf, Cimpor ou encore Medcem sont déjà bien installés sur le marché. En toile de fond, ce projet renforce l’ancrage stratégique de la Chine en Afrique centrale, tout en posant les enjeux liés à la responsabilité sociale, à la durabilité environnementale, et à l’intelligence économique dans un secteur clé pour l’émergence du Cameroun à l’horizon 2035. Un objectif atteignable. En chiffres :

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