Paul Biya s’envole pour l’Europe : retraite stratégique ou manœuvre d’équilibriste avant le scrutin du 12 octobre ?
À moins de trois semaines d’un scrutin présidentiel capital au Cameroun, le président Paul Biya, 92 ans, a quitté Yaoundé le dimanche 21 septembre pour ce que le Cabinet civil qualifie sobrement de « court séjour privé en Europe ». Officiellement banal. Officieusement, cette absence soulève un faisceau de questions géopolitiques, économiques et institutionnelles, à l’heure où le pays aborde une phase électorale à hauts risques. « Ce type de voyage, à quelques jours d’un scrutin majeur, est tout sauf anodin », confie un diplomate européen. « Cela peut aussi indiquer une volonté de contrôler les agendas hors des regards camerounais ». Une délégation verrouillée, un agenda discret Accompagné de son épouse Chantal Biya, le président a voyagé avec une délégation resserrée, à haute valeur symbolique : Samuel Mvondo Ayolo, Directeur du Cabinet Civil ; Vice-Amiral Joseph Fouda, Conseiller spécial à la Présidence ; Simon Pierre Bikele, Chef du Protocole d’État. Aucune indication n’a été donnée sur la destination exacte, ni sur la durée réelle du séjour. L’ambiguïté du format « privé » ouvre la voie à toutes les hypothèses : contrôle diplomatique discret, consultations médicales, ou encore sécurisation de soutiens internationaux. Contexte politique : tensions, crispations et incertitudes L’élection présidentielle du 12 octobre 2025, à laquelle Paul Biya est candidat pour un 8e mandat, s’annonce sous tension : Une opposition fracturée mais active, dénonçant un processus verrouillé ; Une crise anglophone persistante, mais en basse intensité; Des spéculations récurrentes sur l’état de santé du président. Une absence au timing stratégique Ce départ du territoire, à la veille d’un scrutin sensible, envoie plusieurs signaux : 1. Stature présidentielle à l’international :Rencontrer des partenaires étrangers ou des investisseurs dans un cadre non-public pourrait conforter une image de chef d’État toujours central, légitime, et opérationnel. Le président chercherait ainsi à montrer qu’il reste un interlocuteur crédible, malgré son âge avancé et les appels internes au renouveau. 2. Message de continuité institutionnelle :La présence de son cercle restreint dans la délégation montre que le cœur du système reste verrouillé et compact. 3. Manœuvre diplomatique silencieuse :La formulation « court séjour privé » est un outil de flexibilité politique : elle permet des ajustements discrets selon l’agenda, notamment en cas de rencontres bilatérales ou négociations sensibles (sécuritaires, économiques ou électorales). 4. Mise à distance de la pression intérieure : Hors du territoire, le président Paul Biya évite la pression directe de l’opinion, des journalistes locaux, ou des oppositions. Réactions diplomatiques & signaux internationaux Même sans déclaration officielle majeure, les chancelleries occidentales suivent ce déplacement avec attention : 1. France : Paris, puissance traditionnelle en zone CFA, suit « avec intérêt » l’évolution de la situation. Des sources diplomatiques indiquent que le Quai d’Orsay attend des clarifications sur l’agenda présidentiel, la santé du chef de l’État et la tenue effective d’un scrutin crédible. 2. Union européenne : Bruxelles a appelé Yaoundé à garantir « des élections libres, transparentes, et inclusives », avec accès des médias et observation internationale. La suite du séjour présidentiel pourrait conditionner l’attitude de l’UE en matière d’aide et de coopération post-électorale. 3. ONG internationales : Human Rights Watch et Freedom House dénoncent les restrictions à la presse, la répression dans les régions anglophones et les détentions arbitraires. Une dénonciation qui ne reflète pas toujours la réalité sur le terrain. A ce jour, aucune partie, aucune région du Cameroun n’est en ébullition. 4. Diasporas et oppositions camerounaises : Certaines, surtout très minoritaires, critiques, réclament des explications publiques sur la finalité réelle de ce déplacement et interpellent la communauté internationale. 5. Chine, Turquie, Émirats : Acteurs économiques majeurs au Cameroun, ces puissances non-occidentales pourraient voir dans cette visite une opportunité de renforcer leur présence. Enjeux sécuritaires, économiques et géopolitiques 1. Sécurité intérieure :Une sécurité intérieure renforcée, entre les mains du ministre de l’Administration territoriale, Paul Atanga Ji, combinée à la coordination sécuritaire, – ministère de la Défense, DGSN -, dans les zones sensibles (Nord, Extrême-Nord, régions anglophones), où l’armée mène des opérations contre Boko Haram et les milices séparatistes. 2. Économie sous tension : Les marchés et bailleurs de fonds internationaux suivent l’évolution politique avec prudence. En cas d’absence prolongée ou de tensions électorales, la prime de risque souveraine du Cameroun pourrait augmenter, et certains investisseurs suspendre leurs engagements. Géopolitique régionale Le Cameroun reste un pivot stratégique en Afrique centrale, entre instabilité en Centrafrique, fragilité au Tchad et tensions dans le golfe de Guinée. Les partenaires internationaux veillent à la stabilité de Yaoundé pour éviter une contagion régionale. Risques et incertitudes 1. Rumeurs de vacance du pouvoir : Une absence mal gérée pourrait amplifier les doutes sur la capacité de Paul Biya à gouverner, voire à mener une campagne électorale active. 2. Tensions internes au sein du régime : En cas de flottement, des rivalités pourraient émerger entre les barons du pouvoir, notamment dans l’armée et le gouvernement. 3. Recul diplomatique : Un mutisme prolongé ou une mauvaise communication avec les alliés occidentaux pourrait fragiliser les appuis traditionnels du régime. Le « court séjour privé » de Paul Biya en Europe, à trois semaines d’un scrutin crucial, n’est ni neutre ni sans portée stratégique. Derrière la prudence sémantique, se dessinent des calculs de légitimité, des manœuvres diplomatiques discrètes, et des messages adressés tant aux partenaires étrangers qu’aux acteurs internes. Si le Cameroun entre dans une zone de fébrilité, cette fébrilité reste bien contrôlée et surveillée, et « contenable ».