novembre 2025

Centrafrique : Faustin-Archange Touadéra, l’équilibriste du cœur de l’Afrique

À l’approche de la présidentielle du 28 décembre, le chef de l’État centrafricain affirme sa confiance en une victoire, tout en tentant de maintenir l’équilibre entre Paris et Moscou, dans un contexte régional marqué par la montée des tensions et l’instabilité du Soudan au Tchad. À quelques semaines du scrutin du 28 décembre, Faustin-Archange Touadéra aborde la campagne avec assurance. Dans un entretien à France 24, le président centrafricain déclare avoir « confiance » en sa réélection, évoquant les progrès du désarmement et la « stabilisation progressive » du pays. Onze des quatorze groupes armés ont accepté de déposer les armes », assure-t-il, citant les discussions en cours avec le MPC d’Al-Khatib, encore actif dans le nord du pays. Élu en 2016 et réélu en 2020, Faustin Touadéra met en avant la réconciliation et la reconstruction comme piliers de son bilan. Mais sur le terrain, la situation reste fragile. Selon les Nations unies, près de 60 % du territoire demeure sous l’influence de groupes armés, et plus de 3,4 millions de Centrafricains — soit la moitié de la population — dépendent toujours de l’aide humanitaire. Les violences intercommunautaires, les trafics transfrontaliers et la pauvreté structurelle alimentent un climat d’incertitude à la veille du vote. Face à une opposition divisée, dont une partie appelle au boycott, le président estime qu’elle « n’est pas constructive » et « n’est pas suivie par la population ». Plusieurs figures de la société civile dénoncent toutefois un processus verrouillé, évoquant un risque de scrutin « sans véritable compétition ». L’Union africaine et l’ONU appellent à garantir « des élections crédibles, inclusives et sécurisées », alors que certaines préfectures restent inaccessibles aux observateurs internationaux. Entre Paris et Moscou : une diplomatie d’équilibriste Sur le plan international, Touadéra s’efforce de ménager ses deux principaux partenaires : la France et la Russie. Après plusieurs années de tensions, le dialogue franco-centrafricain a repris en avril 2024. « Les choses se passent très bien avec Paris, nous avons mis en place une feuille de route », déclare le président. Ce rapprochement traduit une volonté de normaliser les relations bilatérales après une période dominée par l’influence russe. Depuis 2018, des centaines d’instructeurs liés au groupe Wagner — aujourd’hui réorganisé sous le nom Africa Corps — assurent la formation et la protection du régime. Interrogé sur un nouvel accord militaire avec Moscou, Touadéra reste évasif : « Ce n’est pas sur votre plateau que je vais m’étaler sur ces questions. Par courtoisie envers nos partenaires ». Et d’ajouter, en forme de réponse politique : « Je ne suis l’otage de personne ». Derrière la prudence diplomatique se joue un enjeu géoéconomique crucial : le contrôle des ressources minières, notamment l’or et les diamants. Ces richesses, qui représentent près de 40 % des exportations officielles, alimentent aussi des circuits de contrebande transfrontalière vers le Soudan, le Cameroun et le Tchad. Pour plusieurs observateurs, la Centrafrique s’est imposée comme un maillon du vaste réseau d’intérêts économiques et sécuritaires russes en Afrique centrale. Un environnement régional sous tension Au-delà de ses frontières, Bangui évolue dans un environnement régional instable. La guerre au Soudan, que Touadéra décrit comme « une source d’inquiétude sécuritaire majeure », favorise la circulation d’armes et de combattants vers le nord de la Centrafrique. Le Tchad voisin, dirigé par Mahamat Idriss Déby, redoute une contagion de l’instabilité, tandis que le Cameroun continue de faire face à des tensions dans ses régions anglophones. Dans ce contexte, la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) peine à jouer un rôle de stabilisation. Les rivalités politiques internes — notamment entre Kinshasa, Libreville et Brazzaville — limitent sa capacité à agir. La fragilité centrafricaine devient ainsi le reflet d’une Afrique centrale fragmentée, où les transitions politiques, les trafics et la compétition des puissances extérieures s’entrecroisent. Les bailleurs internationaux — Banque mondiale, FMI, Union européenne — maintiennent leur soutien, mais sous conditions : bonne gouvernance, transparence dans les recettes minières et respect des droits politiques. Confiant, Faustin-Archange Touadéra cherche à apparaître comme l’homme fort d’un État sous tutelle partielle, mais en quête de souveraineté. Entre ambitions électorales et contraintes géostratégiques, le président centrafricain avance sur un fil ténu — celui d’un pouvoir fragile dans une région sous tension, où chaque élection devient un test de stabilité continentale.

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Afrique centrale : nouveaux enjeux et défis d’une région en recomposition

Le Cameroun au carrefour géostratégique. La région de l’Afrique centrale – longtemps considérée comme une zone tampon entre des dynamiques sahéliennes, congolaise et golfo-équatoriale – entre aujourd’hui dans une nouvelle phase de recomposition géopolitique et géoéconomique. Le Cameroun, en tant qu’État pivot de cette zone, en sort particulièrement transformé, tant par son contexte politique que par ses défis sécuritaires, économiques et d’intelligence stratégique. Le Cameroun post-élection : continuité sous tension Le 12 octobre 2025, le président Paul Biya, a été déclaré vainqueur avec environ 53,66 % des voix. L’opposition conteste les résultats, évoquant des fraudes massives et une forte répression des manifestations. Cette réélection, soulève trois grands défis : Enjeux stratégiques à l’horizon 1. Ressources, infrastructure et corridor géoéconomique Le Cameroun joue un rôle central dans la chaîne d’approvisionnement des grands projets d’investissement dans la région – agriculture, énergie, miniers. Le pays pourrait devenir un « corridor » pour les investissements en Afrique centrale, mais cela dépend de sa capacité à stabiliser le climat des affaires ainsi que la sécurité.Les partenaires internationaux (Golfe, Chine, UE) observent cette zone comme un terrain d’influence et d’opportunités : celui qui avait un accès sécurisé aux infrastructures (ports, routes, mines) emporte un avantage durable. 2. Intelligence économique et souveraineté stratégique La compétition globale s’accroît pour contrôler les données, les flux logistiques et les technologies. Au Cameroun, comme dans toute l’Afrique centrale, le défi pour l’État est de ne plus être simple terrain d’accueil mais acteur stratégique : développer des capacités de veille, de cybersécurité, de transformation locale des ressources et de négociation de partenariats équilibrés. Le renouvellement politique, ou son absence, peut fortement influencer la capacité du pays à articuler une doctrine de souveraineté économique face aux grandes puissances. 3. Sécurité intégrée et résilience régionale La stabilité du Cameroun est une condition clé de la stabilité de l’Afrique centrale. Une escalade du conflit anglophone ou une extension du terrorisme dans la zone littorale ou forestière impacterait les projets d’investissement, creuserait les flux d’apatridie et fragiliserait les États voisins. La réponse exige une stratégie intégrée mêlant développement, infrastructures résilientes, gouvernance locale et coopération transfrontalière. Perspectives pour les 3 à 5 ans Le Cameroun post-électoral incarne les paradoxes de l’Afrique centrale : des potentialités immenses, mais des fragilités persistantes. L’enjeu géostratégique est clair : qui verrouillera la place de cette région dans l’économie mondiale de demain ? Le Cameroun peut choisir d’être spectateur ou acteur. Ses choix de gouvernance, de sécurité et d’intelligence économique dans les deux prochaines années seront déterminants pour sa trajectoire – et pour celle de toute la région.

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FII 2025 : L’Afrique, nouveau centre de gravité du pouvoir économique mondial

La neuvième édition de la Future Investment Initiative (FII), clôturée à Riyad, marque un tournant géopolitique majeur : l’Afrique s’affirme comme un pilier du nouvel ordre économique et stratégique mondial. Loin d’être un simple réservoir de matières premières, le continent devient désormais un acteur de puissance, au croisement de la finance, de la technologie et de la sécurité globale. Le capital mondial se redéploie vers l’Afrique Sous le thème « La clé de la prospérité », la FII a réuni plus de 8 000 décideurs politiques et économiques venus des grandes puissances et des blocs émergents. Derrière le discours sur la croissance inclusive, se joue une recomposition des rapports de force mondiaux. La rivalité sino-occidentale, la montée en puissance du Golfe comme hub financier et énergétique, et la quête de souveraineté technologique placent désormais l’Afrique au cœur des stratégies d’influence globale. Les minéraux critiques – cobalt, lithium, cuivre, graphite, terres rares – sont devenus un enjeu central. « L’Afrique doit désormais être copropriétaire de ses ressources et non simple spectatrice », a insisté Richard Attias, Président-Directeur général de la FII. « Il s’agit d’établir de véritables partenariats géo-économiques fondés sur la valeur ajoutée locale, la recherche et la transformation ». L’intelligence économique au service de la souveraineté africaine Derrière les discours d’investissement, les acteurs de l’intelligence économique voient émerger une bataille silencieuse pour le contrôle de la donnée, des infrastructures et des flux d’information. Les data centers, les réseaux de télécommunications et les plateformes numériques africaines deviennent des actifs stratégiques aussi sensibles que les gisements miniers. Dans un contexte d’IA généralisée, la maîtrise de ces infrastructures relève autant de la sécurité nationale que de la compétitivité économique. Cette nouvelle géoéconomie du numérique impose aux États africains de développer leurs propres écosystèmes de veille stratégique, de cybersécurité et d’intelligence économique, afin de ne pas subir la guerre de l’information et des standards technologiques. Un champ de manœuvre géostratégique mondial Pour les puissances établies comme pour les émergents, l’Afrique est devenue un terrain d’influence à haute intensité stratégique. Les États du Golfe cherchent à sécuriser des partenariats énergétiques et alimentaires à long terme. La Chine renforce son contrôle sur les chaînes logistiques via des corridors maritimes et ferroviaires. L’Europe tente de rééquilibrer sa relation en soutenant des projets « verts » et numériques. Les États-Unis, de leur côté, réinvestissent la sphère sécuritaire et technologique du continent dans une logique de containment économique. Vers une doctrine africaine de puissance économique L’enjeu pour l’Afrique est désormais de transformer son potentiel en puissance. Le continent détient plus de 60 % des terres arables inexploitées, un réservoir démographique sans équivalent et un espace de souveraineté énergétique encore sous-exploité. Mais pour convertir ces atouts en levier de puissance, il lui faut une stratégie d’intelligence économique continentale, capable de protéger ses intérêts, ses données et ses savoir-faire. Le moment africain La FII 2025 révèle une mutation de fond : le centre de gravité de la mondialisation se déplace. La géoéconomie du XXIᵉ siècle ne se joue plus uniquement à Washington, Bruxelles ou Pékin, mais désormais à Abuja, Nairobi, Kigali et Casablanca. L’Afrique n’est plus la marge des puissances ; elle devient le champ d’équilibre du monde multipolaire.

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Cameroun post-électoral :  anatomie d’un risque pays

Crise de confiance, crise de croissance, le Cameroun face à son avenir économique. Alors que Paul Biya vient d’être proclamé vainqueur de l’élection présidentielle du 12 octobre 2025, les revendications post-électorales s’enlisent et ravivent les doutes sur la trajectoire politique et économique du Cameroun. Entre incertitudes politiques, pressions sociales et tensions régionales, le pays s’avance sur une ligne de crête où la stabilité devient la principale variable d’ajustement. 1. Au plan national : la croissance en sursis, la gouvernance sous examen Avec une croissance de 3,5 % en 2024 – en léger mieux par rapport à 2023 (3,2 %) – le Cameroun affiche une résistance relative face à la conjoncture mondiale. Mais cette apparente stabilité masque des déséquilibres profonds : une dette publique estimée à 46,8 % du PIB, un déficit courant de 3,4 % et une inflation maintenue à 4,5 %. Derrière ces chiffres, la politique reste le talon d’Achille. La contestation des résultats du scrutin, jugé opaque par une partie de l’opposition, ébranle la confiance des investisseurs et retarde des projets structurants dans les transports, l’énergie ou les télécommunications. Comme le souligne un analyste d’un fonds régional : « Le Cameroun paie le prix d’un déficit de confiance politique avant même celui d’un déficit budgétaire ». La gouvernance, marquée par la lenteur des réformes et des soupçons de corruption, demeure le principal frein à une croissance inclusive. Les tensions sociales, alimentées par le chômage des jeunes et la cherté de la vie, font planer la menace d’une érosion du climat des affaires. 2. Au plan régional : fractures internes et fardeau sécuritaire Les revendications post-électorales s’inscrivent dans un paysage régional déjà tendu. La crise anglophone, toujours active dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, a déplacé plus de 900 000 personnes. Les affrontements sporadiques entre forces gouvernementales et groupes séparatistes continuent de perturber les chaînes logistiques et d’entraver les flux commerciaux vers le Nigéria, premier partenaire régional. L’État central, confronté à une pression sécuritaire multidimensionnelle – du bassin du lac Tchad à la frontière centrafricaine – doit arbitrer entre dépenses militaires croissantes et investissements civils. Une équation budgétaire intenable à moyen terme. Dans ce contexte, le risque de contagion régionale n’est pas à écarter : les fragilités du Cameroun résonnent sur l’ensemble de l’Afrique centrale, où Yaoundé joue un rôle d’équilibre au sein de la CEEAC. Comme l’analyse un diplomate de la sous-région : « Un Cameroun instable, c’est toute l’Afrique centrale qui vacille ». 3. Au plan international : entre diplomatie économique et rivalités d’influence Sur la scène mondiale, le Cameroun reste un partenaire stratégique – par sa position géographique entre le Sahel et le golfe de Guinée, et par son potentiel énergétique (gaz, hydrocarbures, forêts). Mais la perception internationale se dégrade. Les investisseurs étrangers, échaudés par la contestation du scrutin, attendent des signaux clairs de stabilité. Fitch Solutions a d’ailleurs identifié « l’élection de 2025 comme un risque majeur pour l’environnement des affaires ». La dette extérieure – notamment vis-à-vis de la Chine – accroît la dépendance du pays et son exposition aux tensions géopolitiques. L’Union européenne, de son côté, conditionne ses prêts à des réformes de gouvernance et de transparence budgétaire. Sur le plan diplomatique, Yaoundé tente un équilibrisme entre partenaires traditionnels et nouveaux acteurs. Pékin multiplie les financements d’infrastructures ; Moscou offre une coopération sécuritaire discrète ; Paris et Bruxelles insistent sur la stabilité institutionnelle. Ce jeu d’équilibres dessine un espace d’opportunités… mais aussi de vulnérabilités. 4. Stratégie et perspectives : réformer pour rassurer L’avenir économique du Cameroun dépend désormais de sa capacité à restaurer la confiance. Trois leviers apparaissent essentiels : Comme le souligne un économiste de la Banque mondiale : « Une réforme fiscale courageuse et une meilleure gouvernance peuvent être les déclencheurs d’une croissance durable ». Si le pouvoir réussit à stabiliser la scène intérieure, la croissance pourrait se hisser autour de 4,5 % en 2025. Dans le cas contraire, l’économie camerounaise risque d’entrer dans une zone grise : celle d’une stagnation politique prolongée et d’une marginalisation économique dans la région. Le risque de l’immobilisme Les revendications post-électorales au Cameroun dépassent la seule sphère politique : elles révèlent une crise de confiance systémique. Dans une région où chaque secousse politique résonne au-delà des frontières, le Cameroun joue sa crédibilité économique et diplomatique. Entre inertie et réforme, le pays doit choisir. L’histoire récente de l’Afrique centrale l’enseigne : dans un monde de rivalités économiques et d’instabilité stratégique, l’immobilisme est la plus dangereuse des stratégies.

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