Tribunes & Grands Récits

Cameroun et Afrique centrale face à la diplomatie migratoire américaine

Alors que le Ghana devient un hub migratoire sous influence américaine, le Cameroun et l’Afrique centrale se retrouvent à un carrefour diplomatique délicat. Si l’accord entre Accra et Washington demeure pour l’instant en Afrique de l’Ouest, il envoie un signal fort : les États-Unis cherchent désormais à externaliser leur politique migratoire bien au-delà de l’Amérique latine. Position probable du Cameroun : entre prudence et souveraineté Le Cameroun, traditionnellement prudent sur les questions de politique migratoire, pourrait adopter une position de réserve, pour plusieurs raisons : –Une Souveraineté non négociable : Yaoundé rechigne à accepter des accords qui pourraient être perçus comme une atteinte à sa souveraineté ou qui impliqueraient un transfert de responsabilités migratoires d’autres pays. –Une stabilité intérieure fragile : Le Cameroun est déjà confronté à des tensions internes (crise anglophone, insécurité dans l’Extrême-Nord, flux de réfugiés centrafricains). Accueillir des migrants refoulés d’un autre continent risquerait d’alourdir la pression sociale. –Une Solidarité africaine prudente : Contrairement au Ghana, le Cameroun pourrait chercher à consolider ses alliances régionales (CEEAC) plutôt que de s’isoler diplomatiquement en pactisant avec Washington sur un sujet aussi sensible. Afrique centrale : terrain peu favorable à ce type d’accords L’Afrique centrale connaît peu d’historique migratoire avec les États-Unis : Les flux migratoires directs entre l’Afrique centrale et les États-Unis sont limités comparés à l’Afrique de l’Ouest. Les Régimes sont généralement méfiants envers l’ingérence occidentale : À l’exception peut-être du Gabon ou du Congo-Brazzaville, les pays d’Afrique centrale sont peu enclins à céder à des accords asymétriques. L’Influence croissante de la Chine et de la Russie : Cette reconfiguration des alliances diminue la dépendance politique aux États-Unis, ce qui réduit la marge de manœuvre de Washington dans la région d’Afrique. Le Ghana a ouvert une brèche diplomatique que peu de pays africains souhaitent suivre. Le Cameroun, tout comme ses voisins d’Afrique centrale, devrait maintenir une posture d’équilibre stratégique, en se gardant d’alignements unilatéraux sur des agendas étrangers qui pourraient fragiliser leur cohésion interne et régionale.

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France – Sébastien Lecornu à Matignon : quel cap africain pour la France ?

Entre crise d’influence et attentes africaines, le nouveau Premier ministre devra redéfinir une politique africaine à la hauteur des défis géopolitiques et économiques du continent. Ce qui attend Sébastien Lecornu en Afrique Avec la nomination de Sébastien Lecornu à Matignon, c’est un ancien ministre des Armées qui prend les commandes de la politique intérieure et extérieure de la France. Cette dimension militaire, dans un contexte de redéfinition des rapports franco-africains, est loin d’être anecdotique. L’Afrique attend un virage, la France un repositionnement stratégique. Ce qui l’attend côté Afrique Lecornu hérite d’un lourd passif : évictions successives des forces françaises (Mali, Burkina Faso, Niger), rejet croissant des opinions publiques africaines, montée en puissance des influences russes, turques, chinoises, et surtout africaines elles-mêmes. Il devra accompagner, voire accélérer, la mutation d’une présence militaire vers une coopération plus équilibrée, en rupture avec les logiques postcoloniales. Les enjeux migratoires (notamment avec l’Afrique du Nord et le Sahel) et la lutte contre le terrorisme djihadiste restent majeurs. Il devra gérer l’équilibre entre sécurité, souveraineté des États africains et respect des droits humains, tout en évitant une militarisation excessive de la relation. La francophonie politique est en repli, concurrencée par d’autres puissances et affaiblie par des récits hostiles à la France. Lecornu devra renforcer la diplomatie culturelle, académique et médiatique pour restaurer un lien avec les sociétés civiles africaines, notamment les jeunesses. Ce que l’Afrique attend de lui Les discours africains, y compris ceux de partenaires historiquement proches, réclament une relation fondée sur le respect mutuel, la non-ingérence et la co-construction. L’Afrique attend moins de « déclarations » que d’actes : investissements durables, partenariats industriels, transfert de technologies, ouverture de marchés et réforme du franc CFA. L’Afrique subit de plein fouet les effets du dérèglement climatique. Lecornu peut redonner à la France un rôle de leader sur les partenariats climat-énergie, notamment via l’AFD et des accords bilatéraux sur l’énergie solaire, les infrastructures ou la gestion de l’eau. Alors que la pression migratoire se maintient, le nouveau Premier ministre est attendu sur une politique qui combine co-développement, mobilité circulaire, respect de la dignité des migrants et lutte contre les trafics. Le tout, sans céder à la tentation du repli sécuritaire. Ce que Lecornu peut/devrait faire pour la France en Afrique Soutenir les entreprises françaises face à la concurrence chinoise ou turque, relancer la présence dans les secteurs stratégiques (énergies, transports, numérique), et investir dans l’innovation africaine. L’Afrique représente une opportunité de croissance pour la France, si elle sait écouter et s’adapter. Au sein du G20, de l’ONU ou du FMI, la France peut (re)devenir un partenaire d’influence si elle appuie les aspirations africaines à une représentation plus juste dans la gouvernance mondiale. Lecornu pourrait encourager des coalitions France-Afrique sur des dossiers globaux (climat, dettes, paix). La France doit passer d’une posture verticale à une approche horizontale, moins basée sur l’héritage colonial que sur des intérêts convergents. Lecornu, encore peu exposé en Afrique, a une carte à jouer : celle d’un visage neuf capable d’écouter avant d’imposer. L’Afrique attend de Sébastien Lecornu moins de continuité que de clarté stratégique. À lui de démontrer que la France peut redevenir un partenaire utile, humble et crédible sur un continent désormais acteur central du monde multipolaire.

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Le Grand Barrage de la Renaissance : L’Éthiopie entre souveraineté énergétique et turbulences géopolitiques

Symbole d’émancipation et d’intégration régionale, le GERD redéfinit les équilibres géoéconomiques du Nil au risque d’accentuer les tensions hydropolitiques. Après quatorze années de travaux, l’Éthiopie a officiellement inauguré le Grand Barrage de la Renaissance (GERD), devenant ainsi le pays hôte de l’infrastructure hydroélectrique la plus imposante du continent africain. Sur le plan géoéconomique, cet ouvrage marque un tournant historique : avec une capacité de production de 5 150 MW, il ambitionne de doubler l’offre nationale d’électricité et d’exporter vers ses voisins, générant jusqu’à un milliard de dollars par an. Ce projet colossal, autofinancé à hauteur de 4 milliards de dollars, est également un outil de légitimation politique dans un pays fracturé, mais temporairement uni autour de ce symbole de souveraineté et de modernité. Sur le plan géopolitique, le GERD bouleverse les rapports de force dans le bassin du Nil. L’Égypte, qui dépend à 97 % du fleuve pour ses ressources hydriques, y voit une menace directe à sa sécurité nationale. Le barrage, situé sur le Nil Bleu – source de 85 % du débit total du Nil – cristallise depuis plus d’une décennie un conflit latent entre Le Caire, Khartoum et Addis Abeba. Malgré l’échec des médiations internationales successives, un affrontement militaire reste peu probable, mais le projet exacerbe la compétition pour le contrôle de l’eau, ressource vitale et stratégique au XXIe siècle. Au-delà de l’Éthiopie, le GERD redessine les flux énergétiques de la Corne de l’Afrique, posant les bases d’une intégration régionale énergétique. Mais cette quête d’émancipation énergétique pourrait bien, si elle n’est pas accompagnée d’un accord diplomatique durable, aggraver l’instabilité dans une région déjà marquée par les conflits. Le GERD est ainsi autant un levier de développement qu’un révélateur des fragilités géopolitiques africaines.

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Trafic de drogue : Le Cameroun face aux dérives de son pavillon de complaisance

Le 19 août 2025, les autorités camerounaises ont radié de leurs registres le navire Sky White, officiellement enregistré comme bateau de pêche sous pavillon camerounais. Cette décision fait suite à son arraisonnement au large des îles Canaries, avec plus de 3 tonnes de cocaïne à bord, conditionnées dans 80 ballots. L’opération a été menée par les marines espagnole, américaine et marocaine, et a abouti à l’arrestation de cinq membres d’équipage. Ce scandale remet sur le devant de la scène un problème bien connu : le laxisme du Cameroun dans la gestion de son pavillon maritime, souvent accusé de servir de couverture à des activités illicites – pêche illégale, trafic de drogue, et récemment, contournement de sanctions internationales. Un pavillon « à vendre » : entre business opaque et risque réputationnel Le Sky White n’est pas un cas isolé. Depuis février 2024, il figurait officiellement dans les registres camerounais comme navire de pêche, alors qu’il faisait déjà l’objet de soupçons internationaux de trafic, notamment en lien avec des réseaux opérant depuis le Maroc. Ce genre de dérive est facilité par un système où l’enregistrement des navires est peu contrôlé, voire monétisé sans vérifications rigoureuses. Selon l’Environmental Justice Foundation, plus de 200 licences ont été délivrées par le Cameroun à des navires étrangers de types divers, souvent sans réelle surveillance. En 2023, l’Union européenne avait d’ailleurs infligé un « carton rouge » au Cameroun pour son laxisme dans la lutte contre la pêche illégale, un signal d’alarme qui reste sans suite concrète sur le terrain. Un enjeu de souveraineté et de crédibilité La radiation du Sky White est un geste fort, mais tardif. Elle illustre l’urgence de réformer le régime d’octroi de pavillon, de renforcer les contrôles sur les navires immatriculés, et de coopérer plus étroitement avec les instances internationales. Car au-delà du trafic de stupéfiants, c’est la crédibilité du Cameroun sur la scène maritime mondiale qui est en jeu. Tant que des pavillons seront vendus à des acteurs douteux, le Cameroun s’exposera à des sanctions diplomatiques, à des restrictions portuaires, voire à une exclusion des circuits maritimes de confiance, avec des conséquences directes sur ses échanges extérieurs.

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Malende, 24 Heures de Sang : Le conflit anglophone ressurgit en pleine campagne présidentielle

Alors que le pays se dirige vers une élection présidentielle majeure le 12 octobre, la résurgence des violences dans le Sud-Ouest remet la crise anglophone au cœur des priorités nationales et régionales. Une attaque à l’engin explosif improvisé suivie d’une embuscade a coûté la vie à neuf militaires camerounais les 5 et 6 septembre. Le drame, survenu dans la localité rurale de Malende, rappelle que le conflit dans les régions anglophones, entré dans sa neuvième année, reste un défi multidimensionnel pour l’État, malgré les efforts de stabilisation déployés depuis 2017. « Nos forces ont payé un lourd tribut pour la défense de l’intégrité nationale. Mais leur sacrifice ne sera pas vain », a déclaré Joseph Beti Assomo, ministre délégué à la Défense, lors d’un hommage officiel. Sécurité : entre progrès réels et vulnérabilités persistantes Depuis le lancement du plan de stabilisation du Nord-Ouest et du Sud-Ouest (NOSO), les autorités affirment avoir repris le contrôle de plusieurs zones sensibles. Toutefois, des groupes séparatistes armés continuent d’opérer dans des zones enclavées, recourant à des tactiques asymétriques. « L’utilisation d’explosifs artisanaux prouve l’évolution tactique de groupes isolés mais déterminés. Ce sont des menaces mobiles, difficiles à contenir par des moyens classiques », analyse le colonel (er) Douala Manga Bell, expert en stratégie militaire. Une guerre qui fragilise l’environnement des affaires Selon la Banque mondiale, le conflit a engendré une perte économique estimée à 1,2 milliard de dollars entre 2017 et 2024, en grande partie due à la désorganisation des chaînes de production agricoles (cacao, palmier à huile, banane) et au ralentissement du corridor logistique Douala–Mamfe–Ekok. « Les entreprises opérant dans la zone travaillent en mode résilient. L’État a sécurisé les zones économiques prioritaires, mais l’incertitude reste un frein à l’investissement direct étranger », note Dr. Brice Nsombo, économiste à l’Université de Yaoundé II. Une crise locale, aux résonances régionales Le Cameroun, pilier de stabilité au cœur du Golfe de Guinée, fait face à une instabilité territoriale qui, si elle n’est pas contenue, pourrait avoir des implications transfrontalières.« Le conflit reste contenu, mais il alimente des dynamiques régionales – trafic d’armes, flux de déplacés, fragilité des frontières », explique Marie Cissé, analyste à l’ISS Africa. « Le Nigeria suit de près la situation, notamment dans les États frontaliers de Cross River et Taraba ». 2025 : une présidentielle sous haute vigilance À un mois de l’élection présidentielle, les acteurs politiques adoptent des postures contrastées. Le gouvernement privilégie la continuité sécuritaire et institutionnelle, misant sur la « résilience de l’État ». L’opposition appelle à une relance du dialogue national. « La paix durable passe par une réponse à la fois politique, sociale et sécuritaire. Le dialogue reste ouvert pour ceux qui rejettent la violence », affirme une source proche de la primature. Certains leaders d’opinion anglophones plaident pour une réforme de la gouvernance territoriale, à travers un débat sur le fédéralisme ou le renforcement de la décentralisation. Dialogue et réconciliation : vers un nouveau format ? Malgré l’organisation du Grand Dialogue National en 2019 et la mise en place des Régions, la crise n’a pas totalement trouvé de solution politique. Des partenaires internationaux, notamment le Vatican et certaines ONG, continuent de proposer leur médiation.« Un compromis durable nécessitera une solution camerounaise, mais soutenue par des acteurs neutres. Il ne s’agit pas de céder à la division, mais d’apaiser une mémoire collective blessée », souligne un diplomate en poste à Yaoundé. Le drame de Malende réactive une réalité souvent reléguée au second plan dans le débat international : le Cameroun reste confronté à une crise hybride, à la fois militaire, politique, identitaire et économique. Pour les autorités camerounaises, l’enjeu est de parvenir à une désescalade durable, sans compromettre l’unité nationale. Pour les partenaires internationaux, le moment semble venu d’un engagement discret mais stratégique, avant que le statu quo ne dégénère en impasse prolongée. En chiffres (2025)

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Banques communautaires : le moteur méconnu de la finance au Cameroun

Dans un paysage financier où les grandes banques traditionnelles semblent hors de portée pour nombre de Camerounais, émergent des forces souvent invisibles : les banques communautaires. Parmi elles, le Community Credit Company (CCC Plc) s’impose comme un acteur central, associant inclusion, proximité et innovation. CCC Plc : croissance, réseau et service Créée en novembre 1998 en tant que coopérative, transformée en société anonyme, CCC Plc est aujourd’hui une institution de microfinance de deuxième catégorie, réglementée par la COBAC, et active au Cameroun depuis plus de 24 ans. Une institution orientée client… mais fragile CCC se distingue par sa proximité, sa disponibilité de services gratuits, et ses innovations numériques. Toutefois, la pression réglementaire et les coûts de conformité restent élevés pour un acteur de cette taille. « Nous sommes traités comme des banques commerciales, alors que nous opérons avec les moyens du bord et pour des publics à très faible revenu », regrette un dirigeant du secteur microfinance. Comparaison : CCC vs CCA‑Bank — deux modèles complémentaires Institution CCC Plc CCA‑Bank Création 1998 comme coopérative, microfinance 1997 coopérative, devenue banque universelle en 2018 Réseau 18 succursales ≈ 54 agences (2024) et 60+ ATM Clientèle > 120 000 comptes 533 400 clients servis (2022) Actifs – 862 M USD (2022) Leadership DG : Ngoh Walters Tebid DG : Marguerite Fonkwen Atanga Le Crédit Communautaire d’Afrique Bank (CCA‑Bank), bien que né des principes de la microfinance, est devenu un acteur établi du secteur bancaire. Il affiche des performances solides, notamment via : Perspectives : vers une synergie entre proximité et institution CCC incarne l’inclusion financière de proximité : accessible, proche, flexible. CCA‑Bank représente la solidité institutionnelle, la diversification de services, et un accès aux financements internationaux. Pour les experts, l’avenir est dans une hybridation réussie : renforcer la capacité locale (CCC) tout en facilitant leur intégration au système bancaire formel (CCA‑Bank). « L’inclusion financière ne peut pas reposer uniquement sur les banques classiques. Les banques communautaires sont une réponse locale, agile et efficace aux défis de l’accès au financement », rappelle une spécialiste du secteur. Au Cameroun et en Afrique centrale, les banques communautaires comme CCC Plc jouent un rôle vital pour des millions de clients invisibilisés par le système bancaire traditionnel. Pour tirer pleinement parti de leur potentiel, il conviendra de décongestionner les contraintes réglementaires, accompagner la digitalisation, et favoriser les partenariats intelligents entre acteurs communautaires et banques universelles. C’est ainsi que se construit une finance réellement inclusive, durable et résiliente.

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Remittances : la manne invisible qui redessine l’économie africaine

Les transferts de fonds des diasporas africaines dépassent désormais l’aide publique au développement et l’investissement direct étranger. Et pourtant, leur potentiel structurel reste largement inexploité. Enquête sur un levier économique sous-estimé. 168 milliards de dollars. C’est le montant que pourraient atteindre les transferts de fonds vers l’Afrique d’ici 2043, selon une étude prospective de l’Institut pour les Études de Sécurité (ISS). Si ce scénario se concrétise, il placerait les remittances comme l’un des principaux moteurs du développement économique du continent, loin devant l’aide internationale et parfois même les investissements directs étrangers. Et pourtant, cette manne financière reste encore mal canalisée, peu intégrée aux circuits formels, et surtout politiquement sous-exploitée. Une source de financement stable… mais négligée En 2024, les envois de fonds des diasporas africaines ont atteint un niveau record de 95 milliards de dollars. Ces flux, répartis entre consommation familiale, dépenses de santé, frais scolaires et microprojets économiques, représentent 5,1 % du PIB africain contre 3,6 % en 2010. Dans des pays comme le Kenya, la Gambie, ou encore le Nigeria, les remittances représentent un filet de sécurité sociale parallèle. En Somalie, au Libéria ou au Soudan du Sud, elles atteignent parfois plus de 10 % du PIB, devenant un pilier économique vital dans des contextes d’effondrement étatique ou de dépendance humanitaire. Mais contrairement à l’investissement direct étranger – concentré sur les infrastructures, les matières premières ou les zones urbaines – les transferts de fonds irriguent directement les ménages, en milieu rural comme urbain, et répondent à des besoins quotidiens immédiats. Pourquoi cette puissance financière reste informelle Malgré leur poids économique, près de la moitié des remittances circulent encore en dehors des circuits bancaires formels. En cause : les coûts élevés de transfert (jusqu’à 8 % en moyenne sur le continent), des réseaux financiers peu accessibles, notamment en zones rurales, et une méfiance historique vis-à-vis des institutions bancaires. Les systèmes informels, les hawalas, ou les transferts en espèces persistent, rendant ces flux difficiles à tracer, hors de portée des politiques fiscales, et peu mobilisables pour l’investissement structurant. Fintech, mobile money et ambitions panafricaines Un vent de changement souffle pourtant. Grâce à la montée en puissance des fintech africaines et des services de mobile money, les transferts transfrontaliers deviennent plus rapides, moins chers et plus accessibles. Des plateformes comme M-Pesa, Wave, Chipper Cash ou Eversend redéfinissent les circuits traditionnels. À l’échelle continentale, le système de paiement PAPSS (Pan-African Payment and Settlement System), soutenu par la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), vise à unifier les corridors de transfert, en réduisant la dépendance au dollar et aux systèmes de compensation occidentaux. Mais malgré ces innovations, peu de pays africains ont mis en place une véritable stratégie nationale sur les remittances, au-delà de simples statistiques. Le double défi : canaliser sans contrôler L’enjeu n’est pas seulement technique. Il est politique et géoéconomique. Certaines nations expérimentent des obligations « diaspora », ou des incitations fiscales à l’investissement communautaire, notamment dans l’immobilier ou les PME. D’autres étudient la création de fonds d’épargne transnationaux ou de polices d’assurance adossées aux envois réguliers. Mais la tentation du contrôle étatique, notamment par la fiscalité ou la régulation excessive, pourrait décourager les diasporas. À cela s’ajoute le risque d’exposition aux chocs économiques mondiaux : inflation, récession dans les pays d’accueil (Europe, États-Unis, Golfe), ou instabilité monétaire. La cybersécurité devient également un enjeu critique à mesure que les flux se numérisent. Intra-Afrique : une dynamique méconnue mais en plein essor Fait notable : près de 20 milliards de dollars de transferts intra-africains ont été enregistrés en 2023. Cette évolution traduit l’essor des migrations régionales Sud-Sud, et le rôle croissant des pays comme l’Afrique du Sud, le Gabon ou la Côte d’Ivoire comme nouvelles terres d’accueil de travailleurs ouest et centrafricains. C’est aussi une opportunité : penser la migration africaine non plus comme un problème, mais comme une ressource économique structurante. Transformer l’informel en pouvoir économique Les remittances ne doivent plus être vues comme un « revenu de secours », mais comme un levier stratégique de transformation économique. Pour cela, les États africains doivent : À l’heure où l’aide internationale s’essouffle et où les dettes explosent, les diasporas africaines pourraient bien représenter le capital politique et économique le plus fiable du continent. À condition de leur tendre la main.

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France‑Cameroun : Paris salue Biya, une relation stratégique plus que jamais calibrée

« Paul Biya m’est apparu comme un homme d’État qui tient véritablement les manches du pays », confie Thierry Marchand, au terme d’une audience empreinte de respect et d’enjeu, marquant son engagement à bâtir une relation « adaptée au XXIᵉ siècle ». Un au revoir symbolique, un partenariat recalibré Le 29 août 2025, au Palais de l’Unité, Paul Biya a reçu Thierry Marchand, ambassadeur de France en fin de mission. Cette audience, dense et feutrée, a permis d’esquisser les contours d’un partenariat bilatéral solide, multiforme et empreint de réciprocité. Politique, économique, culturel, sécuritaire : les domaines évoqués témoignent d’une volonté partagée d’asseoir les relations sur de nouveaux piliers. Thierry Marchand souligne qu’il a retrouvé un président conscient, informé et résolu, prêt à se lancer dans une nouvelle campagne présidentielle – une illustration de la posture de stabilité que Paris valorise chez son homologue camerounais. Géopolitique et diplomatie stratégique Cette transition diplomatique s’inscrit dans une reconfiguration du partenariat France–Cameroun, autrefois asymétrique, désormais pensé comme une tresse tissée de lucidité, d’amitié et de coopération adaptative. La visite d’adieu de l’ambassadeur intervient dans un contexte africain où les États ré-évaluent leurs alliances. Le Cameroun, avec sa stabilité relative, sa position stratégique en Afrique centrale, et ses atouts portuaires et sécuritaires, demeure un pilier pour les intérêts français dans la région. Coopération économique et mémoire partagée Marchand incarne aussi cette volonté française de co-construire des initiatives durables : qu’il s’agisse de visa simplifiés pour les alumni camerounais, d’investissements économiques – plus de 200 entreprises françaises opèrent localement-, ou encore du financement par an, à hauteur de 200 millions d’euros, dans le cadre des dispositifs du C2D (Contrat de Désendettement et Développement). Sur le plan mémoriel, la remise du rapport de la commission mixte (historique 1945–1971) constitue un jalon fort, phase décisive de « thérapie collective » selon les mots mêmes de l’ambassadeur. Ces travaux ont été remis à Emmanuel Macron en janvier 2025 dans un effort de transparence et de réconciliation historique. Sécurité, enjeux globaux et diplomatie multiforme L’entretien au Palais d’Étoudi a également permis de s’inscrire dans une actualité mondiale tourmentée : crises sécuritaires en Europe, au Moyen-Orient comme en Afrique ont été évoquées durant 90 minutes d’échanges bilatéraux approfondis. Une dimension qui souligne l’importance stratégique du Cameroun pour la diplomatie française, notamment dans un monde multipolaire et fracturé. Une relation Biya–France marquée par la continuité diplomatique Depuis François Mitterrand jusqu’à Emmanuel Macron, la relation entre la France et Paul Biya s’est articulée autour de la stabilité comme boussole. François Mitterrand le considérait comme un « homme de dialogue » ; Jacques Chirac comme un garant de la francophonie ; Sarkozy fut plus distant, tandis que Emmanuel Macron, depuis 2022, a tenté d’opérer un aggiornamento mémoriel et stratégique. Mais le fond reste inchangé : le soutien français ne vise pas une alternance, mais une transition contrôlée.

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Classement de Shanghai 2025 : l’Afrique décroche du Top 1000

Avec seulement 17 universités classées contre 20 l’an passé, le continent enregistre un recul inquiétant qui reflète ses fragilités chroniques en matière de recherche, de financement et de gouvernance universitaire. Le classement 2025 de Shanghai Ranking, l’un des plus influents au monde dans le domaine universitaire, confirme une tendance inquiétante : l’Afrique peine à s’imposer dans l’élite académique mondiale. Cette année, seulement 17 universités africaines apparaissent dans le Top 1000, contre 20 en 2024. Une contre-performance significative, dans un contexte mondial où la compétition pour l’excellence académique s’intensifie. Un classement dominé par l’Occident Comme chaque année, les premières places sont largement trustées par les universités anglo-saxonnes : Harvard, Stanford, MIT, Cambridge ou encore Berkeley dominent le haut du tableau. Sur les 20 premières institutions mondiales, 16 sont américaines, 2 britanniques, 1 française (Paris-Saclay) et 1 chinoise (Tsinghua). Le Shanghai Ranking repose sur des critères strictement axés sur la performance scientifique et académique : nombre de Prix Nobel, médailles Fields, chercheurs les plus cités, publications dans Nature et Science, ou encore impact des publications indexées. Ces indicateurs favorisent les établissements disposant d’un écosystème de recherche robuste et financé, ce qui creuse l’écart entre les grandes puissances universitaires et les pays en développement. Afrique : une performance concentrée et inégale Sur les 17 universités africaines présentes dans le classement : Deux pays concentrent donc plus de 80 % des universités africaines classées. Le reste du continent, y compris des poids lourds démographiques comme le Nigeria, le Kenya ou la RDC, est absent du classement, révélant une fracture dans l’investissement et les politiques de l’enseignement supérieur. Les mieux classées sont sud-africaines : Côté égyptien, Cairo University arrive en tête, dans la tranche 401-500, suivie d’Alexandria University et Ain Shams University. Les autres institutions africaines présentes : Un recul inquiétant Trois universités africaines sortent du classement cette année : Ce retrait souligne le manque de continuité et la fragilité des politiques de recherche sur le continent. Une dynamique à reconstruire Le recul africain s’explique par plusieurs facteurs structurels : À titre de comparaison, des pays comme la Chine, l’Inde ou la Corée du Sud, grâce à une stratégie nationale d’excellence académique, voient leur nombre d’universités classées progresser chaque année. Recommandations pour un sursaut africain Pour espérer remonter dans les classements mondiaux, les pays africains doivent : Le Shanghai Ranking 2025 agit ici comme un miroir sévère, révélant à la fois les retards du continent et le potentiel encore inexploité de son capital humain. Pour transformer la formation supérieure en levier de développement, l’Afrique devra investir massivement dans l’excellence scientifique – et rompre avec le cycle de sous-performance.

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Présidentielle 2025/ Cameroun : le Groupe de Foumban plaide pour une opposition unie, sans imposer l’unité

Alors que la présidentielle de 2025 se profile à l’horizon au Cameroun, le « Groupe de Foumban » émerge comme une dynamique nouvelle au sein de l’opposition. Porté notamment par des figures comme Jean Moïse Mbog, militant du Front du salut national pour le Cameroun (FSNC), ce groupe affirme ne pas viser une coalition partisane classique, mais plutôt une union stratégique de l’opposition, fondée sur une éthique de non-agression et de responsabilité politique. Sur le plateau de l’émission « Grand Débat » de Cam 10 Télévision, Jean Moïse Mbog a précisé les contours du projet : « Il ne s’agit pas d’une coalition. C’est un appel à l’unité de l’opposition dans l’attitude et le discours. Le problème du Cameroun, c’est le RDPC. Il ne faut pas se tromper d’adversaire ». Cette sortie intervient après certaines tensions entre partis d’opposition, notamment avec le PURS et le SDF, qui ont suscité de vives réactions au sein même du groupe. Pourtant, un communiqué publié à l’issue des travaux de Foumban et Yaoundé (8–10 juin 2025) faisait bel et bien référence à une « candidature consensuelle », qui semble aujourd’hui reléguée au second plan. Malgré les divergences d’interprétation, les membres du groupe assurent qu’ils poursuivent les consultations avec d’autres leaders politiques, dans un esprit d’ouverture. L’avenir dira si cette stratégie portera ses fruits. Analyse politique et géopolitique 1. Une opposition fragmentée mais en éveil Le groupe de Foumban témoigne d’une prise de conscience progressive au sein de l’opposition camerounaise : face à un pouvoir centralisé et solidement enraciné depuis plus de quatre décennies, la division est contre-productive. La démarche vise à neutraliser les dynamiques centrifuges (disputes internes, rivalités de leadership, tribalisme politique) qui affaiblissent toute alternative crédible au régime du RDPC. 2. Le paradoxe de l’unité sans fusion L’ambiguïté du message est palpable : d’un côté, le discours de non-agression semble prôner une unité morale ou tactique de l’opposition, sans contrainte organisationnelle ; de l’autre, les textes issus des réunions de juin 2025 mentionnent clairement une volonté de candidature consensuelle – une notion plus exigeante, pouvant aboutir à une candidature unique, ce qui nécessiterait des compromis importants. Ce flou stratégique pourrait être à double tranchant : 3. Le RDPC : ciment paradoxal de l’opposition L’idée que « le problème du Cameroun, c’est le RDPC » agit comme force centripète : elle pousse les opposants à se regarder en alliés potentiels, au nom d’un adversaire commun. Mais elle risque aussi d’être trop réductrice. Sans proposition alternative claire et concertée, la critique du régime peut sembler creuse. 4. Enjeux géopolitiques internes Le choix du nom « Groupe de Foumban » est symbolique : Foumban est historiquement associé à la conférence constitutionnelle de 1961 qui a scellé la réunification du Cameroun. En se réclamant de cet héritage, le groupe vise à incarner une légitimité nationale et historique. C’est aussi une réponse implicite aux accusations récurrentes de régionalisme ou de tribalisation de l’opposition. Perspectives, forces et handicaps 1. Forces (Centripètes) 2.Handicaps (Centrifuges) Le Groupe de Foumban représente une tentative originale de reconfiguration de l’espace politique oppositionnel camerounais, non pas par la fusion, mais par la cohésion minimale. Dans un contexte où la démocratie reste verrouillée et la participation politique minée par la défiance, cette initiative peut créer une dynamique positive – à condition qu’elle gagne en clarté, en inclusion et en organisation. D’ici l’échéance de 2025, l’enjeu sera de savoir si cette convergence peut aboutir à un leadership crédible, partagé, et stratégiquement efficace, ou si elle retombera dans les travers bien connus de la division.

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